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L’exposition Temps d’un espace-nuit, conçue par quatre jeunes artistes, sera le point d’aboutissement de leurs recherches individuelles sur des formes qui engagent différents rapports à la réalité. Associées entre elles, grâce au dialogue permanent que ces artistes ont mené depuis plusieurs mois, leurs œuvres s’articuleront pour donner au visiteur le sentiment d’une unique proposition, complexe, riche en échos et en complémentarités.

Qu’est-ce donc que la réalité ? On peut admettre que c’est au moyen de l’espace qu’elle est accessible. Celui de l’expérience physique est-il le seul « originel », et si oui, y a-t-il moyen de le retrouver sans faire appel aux formes instituées par l’éducation et par les normes sociales ? Il est en effet généralement admis que l’espace corporel n’est qu’un espace parmi d’autres, parce qu’il est purement et simplement recouvert par toutes nos représentations (instituant leur propre espace), fictionnelles, symboliques, imaginaires. Pourtant, l’art, depuis toujours, nous rappelle vers cette spatialité du corps, ou des corps, comme à une origine inscrite dans la matière même des êtres (et des choses) et qu’il s’agit de retrouver. Ce puits vital dont les artistes cherchent dans leurs œuvres à manifester la puissance permanente est l’enjeu central de toute connaissance artistique. C’est bien encore vers cette « origine » inscrite dans l’opacité active des corps que Temps d’un espace-nuit entend diriger ses visiteurs.

Rébecca Konforti aborde et questionne l’immensité des espaces nommables, selon les catégories que les sciences et les arts ont inventées au fil du temps pour découper la réalité : ce faisant, elle produit un immense palimpses te de figures et de signes, jouant également avec ceux des autres artistes. Avec toutes ces strates, elle propose une transformation radicale du lieu d’exposition lui-même (qu’elle nomme « l’espace commun »), s’efforçant de rendre visible l’emboitage d’espaces qui font de la réalité un sérieux gruyère ! Car les strates qui la constituent sont d’une variété étonnante et aucune ne peut être ignorée. Dans sa fiction, elles mènent à « la Tour d’Umbrea », structure de la pensée et de l’imaginaire qui ferait songer à Babel si elle n’était constituée que de mots.

Avec ses travaux en céramique issus de fours en papier et terre, Marion Chambinaud creuse littéralement la notion de foyer, cet espace de feu d’où sortent des formes qui sont d’abord des traces d’énergies, des indices de forces en transformation permanente. De ses briques et cheminées en « terre-papier », mixte de faïence et de papier, émanent des poussières, des fragments crus ou cuits, des fumées qui sont peut-être des matières à mots. Le feu n’était-il pas, dans les mythes des philosophes présocratiques, la source des langages ? Les créateurs antiques étaient aussi nomades, cherchant des « creux », tuyaux naturels ou pots fabriqués, où inscrire les actions des êtres.

James Joffrin se débat avec des images mentales, issues du souvenir ou de l’imagination. Sa mémoire personnelle est la source où il repêche quelques impressions manquées, mais non au sens où l’on parle d’occasions manquées : ses visions à lui sont très réussies ! Par exemple, un cliché raté qu’il réalisa alors qu’enfant son émerveillement était provoqué par la convergence de l’Egypte éternelle et de la fragilité de son appareil photographique jetable ! Ses peintures tentent de réitérer ces épiphanies issues d’archaïsmes nourriciers, antiques ou actuels. Parmi elles, une pleine lune rose offre un signe de fertilité générale, symbolique, chacune des œuvres ayant son « élément mystique » identifiable.

Linh Nguyen filme toutes sortes de paysages nocturnes avec l’aide de la lumière de la lune et celle du ciel, des étoiles, qui éclairent le monde tant bien que mal et se reflètent dans les étangs. Elle filme aussi le ciel qui est un écran noir où la Voie lactée façonne ses perles comme des mots, les faisant tomber en pluie depuis le fond d’encre de la voûte céleste jusqu’au fond de nos pupilles ouvertes. C’est de cette profondeur infinie que proviennent et où vont se perdre toutes les énergies des êtres et leurs significations millénaires. Alors elle raconte à son tour le rêve d’une nuit hallucinée :

Finalement, l’espace que ces artistes ont exploré durant l’été 2018 est l’espace même du regard : il fait lien entre l’intérieur de chaque individu agissant et l’infinie spatialité du monde.

Entrée libre du mardi au samedi de 14 h à 18 h, fermé les jours fériés.