critique

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Peintre et dessinateur, particulièrement talentueux en chacune de ces disciplines, Bernard ORANGE a su construire son oeuvre par l'acquis de la structure graphique de base et la continuelle émotion déclenchée par la peinture et la couleur.
Depuis toujours fasciné par les arts, Bernard ORANGE, dès 1970, recompose ses motifs par la technique pointilliste grâce à laquelle il anime de lumière et de dimensions inédites, des motifs souvent marqués d'un surréalisme minutieux, aux subtilités pleines d'étrange et d'humour.
Depuis, puisant son inspiration au gré de thèmes les plus diversifiés, gorgés de mystérieux symboles, de séduction, de formel et d'êtres bizarres, mais éminemment expressifs, il ne cesse d'étonner et de séduire. Sans conteste, sa poésie incisive du réel se métamorphose en songes étranges, en rêves magiques peuplés de personnages qui bouleversent notre pensée cartésienne, mais agissent avec belle humeur sur l'inconscient de chacun, tant leur émergence de la composition retient et captive l'attention et la réflexion.
Qu'il convainque en noir et blanc par l'encre de Chine ou par la peinture aux couleurs fluides, harmonieuses et chaleureuses et aux accords de légende et de fantasmes, Bernard ORANGE règne par la mise en oeuvre de créations fantastiques, mais conçues dans la belle humeur, pleines de vitalité, et qui émettent en réalité une ambiance de lumière et de grâce subtile et réfléchie.
Ainsi, avec passion et talent, Bernard ORANGE s'est-il construit un univers qui lui est propre, et qu'il prospecte pour son plus grand bonheur de créateur et l'émerveillement d'amateur soucieux de se confronter à une manière intelligente et séduisante.
Découvrir cet artiste représente une aventure très originale et fantasque, toujours exprimée comme un fruit inconnu et généreux, sachant livrer son essentiel, sinon avec rigueur, mais avec délice.

André Ruellan, critique d'art


Une œuvre arborescente

 

Après avoir longtemps pratiqué la peinture buissonnière, Bernard Orange se consacre désormais à une œuvre aussi dense qu’énigmatique. Impossible de l’enfermer dans une définition commode. Son travail échappe, par nature, aux formules toutes faites. La technique inédite qui le sous-tend autorise toutes les irruptions prenant naissance dans l’inconscient. Le spectateur navigue ainsi dans les limbes de l’imaginaire, découvrant un monde où rien ne semble écrit ou décidé d’avance.

 

Au commencement était le verbe… énigmatique et fascinant. Passionné par les livres, Bernard Orange eût très bien pu choisir de s’exprimer par l’écriture. Il ne s’est certes pas privé d’y exercer sa plume. Grand lecteur de Prévert, dont il possède d’ailleurs plusieurs recueils dédicacés, il aurait pu faire sienne cette définition extraite de son recueil Fatras, l’un des plus aboutis du poète : « Le sublime est corrosif ». Du sublime au subliminal, il n’y a, en fait, qu’un pas. Nul ne le sait mieux que le peintre qui, lorsqu’il officie, reconnaît être porté par la part inconsciente, impénétrable de son être, se laissant fréquemment guider par ses « phantasmes » au moment d’aborder un dessin ou une toile.C’est au lycée Victor Grignard de Cherbourg que le jeune Bernard prit conscience de son don. Evoquant cette période, Orange ne manque pas, au passage, de rendre hommage à Jean Lefèbvre, excellent professeur dont il revendique l’héritage : « On ne peint pas le A d’acier comme on peindrait le A d’amour » répétait l’homme à ses élèves. B. Orange n’a jamais oublié la leçon. Peindre, c’est donner vie à une illusion, faire sentir la matière dont est constitué chaque objet, chaque rêve. Si l’artiste ne peut en restituer la sensation, mieux vaut alors qu’il demeure inconnu, qu’il se terre.

 

Pour quelqu’un qui, depuis plus de trente ans, passe une bonne partie de son temps à hanter comme moi les coulisses de la création artistique, rencontrer un homme comme Bernard Orange fait partie des moments intellectuellement excitants. En disant cela, je ne cherche nullement à l’encenser mais davantage à souligner l’intérêt que je porte à son œuvre. Ayant abondamment fureté dans son atelier, je suis d’autant plus incliné à croire en sa démarche. Voilà un peintre rare, habité par un univers qu’aucun regard n’est en mesure d’épuiser en une seule fois, un monde en perpétuelle expansion qui embrasse la complexité du champ même de l’humanité, du vivant oserai-je dire, bref un espace de réflexion où la dérision le dispute à la poésie la plus dense et baroque.

Au commencement était le point… C’est par lui qu’Orange eût accès au style original qu’il s’est forgé jour après jours. Il en eut la révélation en 1978, en s’exerçant sur une planche anatomique. Il avait dessiné un cœur. En multipliant les artères, les veines et les veinules qui en sortaient, il lui donna progressivement l’aspect d’un baobab. A l’époque, le peintre, se limitait au noir et blanc. Cette expérience dura quelques années. Ce n’est que bien plus tard que la couleur fit son apparition, embrasant peu à peu l’atmosphère de ses tableaux. En 1981, le passage au portrait confirma l’intuition du peintre. Utilisant un point très fin, il s’aperçut très vite que de multiples personnages surgissaient du sujet initial, un peu à la manière des « centaures marsupiaux » de Dali. Fasciné par l’inexplicable (il lisait à l’époque Louis Pauwels, l’auteur du singulier « matin des magiciens »), Orange trouva progressivement l’assise, la colonne vertébrale de son travail à venir, sa « structure mentale » comme il dit. Adepte de Ferré, Brassens, Brel et … Bill Haley, il n’en renie pas pour autant Hugo, Zola ou Camus. Il lui arriva même de rencontrer le bon Prévert, dans son repaire du Cotentin, qui est situé sur la commune d’Omonville-la-Petite. L’échange, comme on s’en doute, fut des plus chaleureux. Avec un peu d’audace, Orange aurait sans aucun doute pu illustrer le poète dont une phrase, pour lors, ne cesse de nous accompagner :

 

Le vrai jardinier
Se découvre
Devant la pensée sauvage.

 

Un tel langage correspondait à l’identité de l’artiste pour qui l’arbre est (et demeure) un support permettant un délire total et quelque peu jubilatoire. Cet arbre, devenu emblématique pour lui, il en explora jusqu’à la section, faisant apparaître dans les cercles concentriques du bois une foule de personnages fantomatiques et quelque peu inquiétants, comme peut l’être la division incessante d’une cellule mère. L’idée de prolifération est inhérente à l’œuvre de Bernard Orange, qui peut à l’occasion se révéler caustique et n’a de cesse d’interroger le sens même de l’existence, l’énigme insoluble du temps qui souvent fait de nous de simples fétus de paille. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Pourquoi toujours ce bouillonnement, cette expansion incontrôlable de la vie, ce grouillement de termitière ? Si Orange imagine Don Quichotte affrontant les symboles du libéralisme offensif, il sait aussi faire preuve d’humour, représentant le chevalier à la triste figure aux côtés de Zorro le justicier ou l’image ironique d’une vache enragée dans la légion, se prenant fréquemment lui-même à contre-pied. Son univers dénonce l’absurdité galopante du monde moderne, où l’homme est écrasé par ses propres inventions, où des oiseaux mutants semblent tout droit sortis des cavernes de la préhistoire, où le temps lui-même se donne comme une présence presque angoissante. Venant de l’intérieur même de la toile, une lumière rassurante fait apparaître une brèche dans le paysage, une issue bienfaisante peut-être ? Dans cet exercice continuel, pour reprendre l’expression du peintre, Orange se met un peu en posture de méditation, en état d’analyse critique. Ses œuvres constituent des inventaires à la Prévert, des « bazars de bord de mer », comme il dit. Il est même allé jusqu’à peindre une vraie fenêtre, faisant naître dans chaque vitre, un fragment d’univers.

 

Mais n’allons pas nous en étonner, ce domaine chimérique aux composantes enchevêtrées, aux corps ductiles, à l’érotisme exacerbé, ce monde protubérant, arborescent est bel et bien le nôtre. Onirique ou menaçant, il n’est jamais que le reflet des images qui nous traversent à la vitesse de la pensée. Il recèle, Dieu soit loué, quelques brèches par lesquelles notre liberté peut heureusement s’ébattre.

 

Luis Porquet, Février 2007

Bernard Orange
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