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Littérature

Critiques littéraires

  • « Le chien des étoiles » de Dimitri Rouchon-Borie (éditions Le tripode)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    Aidé d’un rapace nocturne, la chouette effraie, réconforté par la présence d’un chien, Gio le géant cabossé -depuis qu’il a « pris un tournevis dans le crâne- est le héros de ce deuxième roman de Dimitri Rouchon-Borie. Lui et les

    deux gamins- Papillon, enfant muet dont les gestes en ailes déployées seront un syllabaire- et Dolorès -cette proie de toutes les concupiscences adultes. Enfants que la voix de la nuit lui a enjoint de protéger

    Ecoutons dans une langue aussi cabossée que la meurtrissure inaugurale mais aussi poétique que les fils d’une lévitation vers les étoiles, leur odyssée, celle qui affleure dans le choix des différents titres depuis « comme on se retrouve » jusque« comme on recommence ».

    Gio est de retour chez les siens. Après des mois passés à l’hôpital. Retour de l’enfant prodigue ? retour du royaume des morts ? En tout cas sur le crâne (ciboulot dévissé pour toujours affirme péremptoire le père dès le début) une cicatrice, qui, en présence des dangers, vibrera telle une antenne !! une cicatrice « boussole ». Dès ce premier mouvement « Comme on se retrouve » nous pénétrons dans un univers « à la marge » fait de violence, de vendetta, de mœurs primitives, d’entraide aussi avec les figures du père, de la mère, des oncles, une communauté de gitans, d’hommes libres (uriner c’est arroser où on veut). Lui Gio qui rêve d’aller aux étoiles par les courants d’air, découvre cette chouette « sabre couleur de lune qui s’abat sans bruit sur la terre, beauté fatale », de même qu’il sera le seul à comprendre et traduire les gestes du jeune enfant muet… Ce premier mouvement telle l’ouverture d’une symphonie, contient en un saisissant raccourci tous les thèmes qui iront s’amplifiant s’analysant s’illustrant (dont la bonté foncière des trois « cabossés » et la folie meurtrière de certains hommes, le mélange de prosaïsme et de poésie, et la présence tutélaire de la statuette de la Vierge Noire, sainte vénérée par les gitans). Suite à l’épisode de la vengeance - Gio en refusant d’y participer a contribué malgré lui à l’hécatombe- c’est le grand départ « Comme on s’échappe » loin du charnier vengeur et « les yeux dans le dos à cause des autres sur leur trace. Les voici tous les trois grimpant dans un train de marchandises ; dans un wagon où l’incongruité d’un passager vagabond Blizzard tournera à la tragédie. Errance de trois âmes déjà saturées par un trop plein de misères (le récit sur les origines, le parcours de Papillon est assez révélateur) et dont la bonté foncière ne pourra vaincre la méchanceté des hommes ! Puis ce sera la « pause » dans la ville, quartier Est (comme on se pose) ; trop occupé par les activités « imposées » Gio aura manqué de vigilance ? Au sortir de cette douloureuse expérience, il est métamorphosé (comme on naît), exilé dans un autre monde, devenu le fou hurlant, une légende des transcontinentaux, le fantôme des rails… Mais Ses yeux d’enfant fabriquent de l’eau sans se lasser. Ses implorations seront entendues par un vieux coach, cubain. Une ellipse (apparente) sur le destin des deux enfants après la « pause » dans la ville, sera comblée par le récit rétrospectif que fait Gio au chien Camarade. Et c’est précisément pour les « rejoindre » dans les étoiles avec ce chien de (in)fortune (le chien éponyme du titre) que Gio dans la cabane (double de celle du tout début du roman ?) reproduit de mémoire le dessin esquissé par Papillon et le parachève. Une immense fresque sur les murs fraîchement peints en blanc par le propriétaire cubain Henrique, le coach bienveillant, une fresque comme la mise en abyme de tout le roman. C’est avec ardeur que Gio s’y adonne ; une ardeur que les habitants voisins interprètent -avec une mauvaise foi éhontée, sous l’égide de Suzy- comme la marque du Diable. Le sort en est scellé. Abominable justice immanente ! L’envol (dans l’avant-dernier chapitre) est restitué en italique (comme si ce passage -ultime lévitation- était hors récit : paratexte ? épigraphe ? épitaphe ?

    Comme tous les récits de « voyage » le périple de Gio et de ses deux compagnons est jalonné par des étapes, est censé se nourrir de rencontres (et les personnages dits secondaires se parent de la dimension de la singularité, car ils sont ciselés telles des eaux-fortes qui en accentuent d’ailleurs les traits malfaisants Blizzard, la Grand-Mère, Fézir Micek, Isaac, Suzy, hormis Henrique) et partant le « récit » souvent se convertit en voyage initiatique. Hormis que « le chien des étoiles » est constamment ballotté entre deux forces contradictoires (à l’instar de l’être humain comme le rappelle la Grand-Mère à Dolorès « un jour tu t’envoles un jour tu chutes on a les pattes au sol et la tête au ciel c’est comme ça qu’on est fait ? et dont rendrait compte la langue de Dimitri Rouchon-Borie à la fois « noire et poétique » ? Gio le colosse, même victime de toutes les déraisons, ne peut concevoir encore moins pratiquer le Mal (seule la cicatrice le mettait en état d’alerte).

    Grâce à un enchâssement de récits le lecteur voit défiler des épisodes de la petite histoire, celle de l’intime, reliée à la grande…Ainsi du charnier de la guerre -destin de Gio sénior, aux accents céliniens-, ainsi de l’empire « de la chatte et du plaisir » (La Grand-Mère), de l’empire de la poudre celui que contrôle Fézir « marché de l’amertume et du manque », et la double histoire que l’on colporte sur le coach Henrique d’origine cubaine s’inscrit précisément dans les « divagations », ces interprétations abusives insanes (où les fake news sont détentrices du Vrai).

    Un univers de chevaux de vengeance d’honneur de débrouilles de boxe. Un univers âpre ! celui de la Douleur ; mais aussi de l’amour ; amour inviolé que Gio déclame par-delà la mort, (avec Dolorès c’est un voyage à la mer chaque minute) ; amour de Dolorès pour Gio –intact, elle l’emportera dans l’au-delà, elle qui a refusé les avances des prédateurs).

    Ce conte se distingue surtout par son écriture ; une écriture où se côtoient le sublime et le loufoque, le lumineux et le sordide, la tendresse et la violence, dans une langue tout aussi rugueuse qu’enflammée, faite de langage parlé et de lyrisme, de brutalité et d’apaisement, langue qui rappelle parfois un requiem -mais organique-, ou la liturgie des mystiques et des révoltés.

     




  • « Okavango » de Caryl Férey (éditions Gallimard Série noire)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    Wild Bunch, la plus grande réserve privée à la frontière namibienne. Son propriétaire ? John Latham, nous le découvrirons progressivement grâce aux investigations de la ranger Solanah Betwase, engagée dans la lutte anti braconnage. Caryl Férey, grâce à un montage alterné et/ou parallèle, et une science du suspense, nous entraîne dans un « jeu de pistes » où le passé s’en vient revisiter le présent pour mieux l’éclairer, où les griffes animales létales rivalisent avec les morsures humaines, où rugissements, feulements barrissements provoquent des frissons, où bourrasques et tempêtes peuvent tout engloutir, où l’humain prédateur serait pire que l’animal sauvage. Laissons-nous entraîner sur les rives del'Okavango, troisième cours d’eau de l’Afrique australe qui traverse le Bostwana, la Namibie et l’Afrique du Sud-, parcourons cette savane dont le rendu, les ambiances sont aux antipodes du « pittoresque » pour cartes postales, écoutons la colère d’un auteur qui s’insurge contre le commerce illégal du trafic d’animaux !

    Dédié à Lison petit lion des Grandes Plaines, le roman est composé de deux grandes parties Le Caméléon et Le Scorpion ; si « l’intrigue » -enquête sur la mort d’un pisteur- obéit à une chronologie linéaire, la narration n’exclut pas les nombreux flashbacks sur le passé des personnages principaux, en les inscrivant dans l’Histoire des différents pays du continent africain ! Particulièrement la « guerre de la frontière »(1966-1988) entre l’Afrique du Sud et ses alliés (UNITA) d’une part et de l’autre le gouvernement de l’Angola la SWAPO et leurs alliés (URSS et Cuba), que rappelle à plusieurs reprises le romancier en des pages documentées (d’un point de vue purement narratif cet épisode historique a scellé le « destin » du Caméléon et du Scorpion).

    D’emblée, le lecteur est plongé dans un univers « fantastique » comme hors du temps (pour preuve, la numérotation 0 pour le premier chapitre) celui de croyances ancestrales… Mort d’un jeune Ovambo Isra, un pisteur soudoyé par le Baas. Et si la première partie est « dédiée » à John Latham le caméléon c’est avec Rainer du Plessis le Scorpion que débute notre voyage. Un ex gradé de l’armée sud-africaine, dangereux roublard, à la tête d’un empire, lui la bête noire des rangers, risque ce jour dans un restaurant de Nairobi de ne pas honorer la commande la Longue Corne promise à Zeng (20kg de corne de « ce » rhinocéros soit plus d’un million de dollars) Nous comprendrons beaucoup plus tard le destin de son neveu Joost chargé, lui et ses sbires, de capturer l’animal…

    Tout le roman est ainsi traversé d’échos, d’effets d’attente ou même de prolepses. De plus, la « binarité » voire la « dualité » semble dynamiser l’écriture. Caméléon -John Latham- et Scorpion -Rainer du Plessis- mais les caractéristiques typiques de l’un valent aussi pour l’autre (Rainer change de look d’identité pour échapper aux rangers tout comme John a changé de « profil » à la fin de la guerre des frontières ; de même il peut se parer des signes distinctifs du scorpion « frapper vite et fort »). Le couple que forme Solanah et son mari Azuel dans la vie peut être entaché par la jalousie et donner quelque piment à l’enquête que la ranger désirerait tant mener seule… Le duo Seth (partenaire officiel de Solanah) et Priti la sémillante (d’abord amoureuse de John elle acceptera de « pister » Seth avant de succomber à ses charmes… et d’œuvrer de concert) ; les acolytes fidèles de John, les San, et le « duo» N/Kon/John, ces « amoureux » des « bêtes  sauvages» mettent tout en œuvre pour les « préserver » (en écho inversé Joost et son oncle Rainer, ces trafiquants que Caryl Férey abhorre et comme il l’affirme dans la note d’intention « je voulais être tueur de braconnier quand j’étais petit. Je le veux toujours. Ecrire comme remède (en écho la promesse qui clôt le roman « elle (Solanah) poursuivrait son œuvre à Wild Bunch. Sa guerre contre les braconniers… Et elle les tuerait - elle les tuerait tous. Solanah double fictionnel de Caryl Férey ?

    Okavango, un roman où alternent récit et dialogues, réalisme cru (la boucherie des éléphants exigée par le commandant du 32ème bataillon Rainer du Plessis, la prothèse arrachée de One l’unijambiste) et envolées plus lyriques (relation Seth Priti), un roman où certaines descriptions très picturales sont au service d’une fresque aussi odorante que musicale ! -et d’où l’humour n’est pas banni (la physionomie de Solanah, le parler de Wilmine par exemple).

    La dualité majeure celle qui oppose(rait) humain et animal s’inscrit dans une autre perspective, la « (ré)conciliation » entre les deux « règnes ». Voici des éléphants qui portent en eux indélébile la mémoire des guerres (à l’instar de Wilmine la grand-mère de Seth ? ou même de John ?) Voici le guépard Ruby, Trust le lion, Dina la femelle rhinocéros et son petit, etc. Biberonnés choyés quand ils sont orphelins, désentravés quand ils sont pris dans de redoutables pièges (cf la girafe)

    Laissez-les vivre !




  • « On était des loups » de Sandrine Collette (éditions JC Lattès)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    Prix Renaudot lycéens 2022

    Prix Jean Giono 2022

     

    Dans ce roman d’espace et de territoire, Sandrine Collette donne la parole à un homme, Liam, un chasseur trappeur que nous allons « écouter penser ». Il dit dans son style proche de l’oralité, imagé et viscéral, tout le chemin parcouru depuis la naissance de son fils Aru jusqu’à une forme de « résilience ». Construit comme un « chemin de montagne abrupt » hérissé de difficultés, avec ses lacets son ascension ses pauses son point paroxystique, sa lente descente vers plus d’apaisement… Car l’essentiel du texte est une chevauchée dans une nature souvent inhospitalière où la frontière serait bien poreuse entre l’humain et l’animal, une nature devenue le réceptacle de ses interrogations.

    Un homme se penche sur un enfant, le sien. C’est l’incipit. Un enfant qu’il n’avait pas désiré. Contemplation et retour en arrière. Cette plongée dans un passé récent sous forme de flash-back, est censée « faciliter » la compréhension de comportements à venir ! Qui est Liam ? Installé dès l’âge de 20 ans dans les montagnes, à 4h de cheval de chez Henry et 1h d’avion de la ville, il vivait seul et en autarcie (chasse et vente de peaux de bêtes) jusqu’à la rencontre quasi épiphanique avec Ava, décidée à le suivre dans ce désert d’apparente solitude ! Aru a 5 ans. Liam vit en harmonie avec « son » monde « familial » et le « sien propre », celui de la montagne. Mais au retour d’une chasse, c’est la tragédie : Ava ne l’attend pas, elle ne l’attendra plus. Elle a succombé aux morsures de l’ours. Aru est sauf ! Que faire de l’enfant ?

    Le récit de la chevauchée -dans l’espace et le temps- peut commencer.

    Un récit qui épouse le flux de la pensée de Liam -un être « bourru » taiseux, qui refuse les faux semblants exprime sans détours sa cruauté. À ses côtés nous allons partager ses « états d’âme », sa conscience aigüe du mal, ses tentations, ses déceptions, ses faiblesses, tout ce qui va faire « basculer » une vie qu’il croyait immuable loin de ladite civilisation urbaine. Sa lucidité est exemplaire là où on serait tenté de le juger pour maltraitance. À travers lui la romancière s’interroge sur l’instinct paternel qui ne saurait être un « acquis » mais qui se « construit ».

    Liam sait par expérience que le monde dans lequel il évolue n’est pas fait pour un enfant ; il ne survivrait pas ! Il sait aussi que lui ne peut changer d’univers ! Il décide de le confier à son oncle. « merde je ne le plante pas au milieu des bois quand même » Refus. À partir de ce « non » catégorique quels sont les possibles ? Ceux qu’il nourrit constamment de détours -ce dont témoignent les interrogatives ou la reptation des phrases qui s’insinuent sans ponctuation, dans la simultanéité du style indirect libre et du récit ? Et en contrepartie le champ de l’impossible ? Se rappelant des épisodes de son enfance – et quelques scènes sont restituées dans leur féroce crudité – il affirme de façon péremptoire que les modes d’éducation ont changé, qu’il ne fera pas subir à son fils les outrages dont il fut victime (expiatoire ?) -mais ne condamne pas pour autant la « monstruosité » de son père… Il faut imaginer Aru, 5 ans tel un « adulte » : monter à cheval, chercher des brindilles pour le feu, laver ses vêtements, frémir dans l’attente d’une caresse ou d’une étreinte, et taiseux comme son père ! Et après une séquence dont le traitement rappelle le fantastique (présence menaçante du vieux dans la nuit, rapport de forces inégal, jeux de regards ; mais ne pas spoiler) les rôles s’inversent, et le dernier chapitre (avant l’épilogue) se clôt sur cette bouleversante prise de conscience (au contact de la petite main chaude)« je sais que c’est ce que j’ai de plus précieux au monde » prise de conscience qui préfigure l’excipit les choses sont à leur place je crois.

    Liam a compris -et en cela le texte est un roman d’apprentissage - que c’est le môme qui a fait de moi un homme je veux dire avec de l’humanité et pas seulement une machine vivante.

    Même s’il n’avait pas de mots pour le dire, Sandrine Collette aura rendu palpables ses doutes, ses monstrueuses pensées, son pouvoir de dominant, par l’emploi d’un vocabulaire très « organique », une syntaxe disloquée -tels des hoquets -, dans la confondante unité du « pensé » et du « ressenti » ! Elle aura cerné au plus près -dans la chair, et de l’intérieur-, la conscience du personnage !

    Liés presque charnellement à leurs chevaux Dark et Ball, père et fils auront traversé des « immensités » que les descriptions magnifient en tableaux vivants, -la composition, la répartition espace couleurs, ne sauraient se concevoir sans cette circulation de regards et de sensations : voici entre autres le fameux lac où Ava aurait tant voulu « baptiser » son fils (l’eau lustrale un instant transformée en abysse mortel !!) Père et fils sont, dans leur mutisme réciproque, à l’écoute de tout ce qui anime cette Nature apparemment inviolée. Et le chant des loups (hérésie que de croire à un hurlement !) les émeut particulièrement « ça vient de loin à l’intérieur de moi » constatait dès le début Liam.

    « Quelque chose d’irrépressible qui vrille au fond de nos ventres et vient chercher une vieille connivence oubliée du temps où l’univers était une sorte de fusion […] En ce temps-là on était des loups et les loups étaient des hommes, ça ne faisait pas de différence on était le monde »

     




  • « Les heures heureuses » de Pascal Quignard (éditions Albin Michel)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    Composé de cinquante chapitres, le tome XII de Dernier royaume chante les « heures heureuses » dans des perceptions stéréophonies où s’entrelacent aphorismes, histoire, souvenirs, mythologie. Apparemment fragmentés ces chapitres n’en tissent pas moins une trame qui joue avec des variations et qui s’interroge sur la fonction de l’écriture. Non pas simple recension/compilation mais par-delà la juxtaposition Pascal Quignard fait éclater les fulgurances scintillantes d’un monde explosé, que l’écriture « reconstruit ». Ecriture fluide en ses multiples tessitures phoniques, qui va célébrer omnia mirabilia.

     

    Après une « ouverture » sur l’importance de l’heure (chapitres I et II) l’auteur dévoile son projet (chapitre III). Derrière la littera où se tient le perdu, se retient le datum le donné. Ce que fut la donnée dans le réel. Dans ce livre où je veux quitter la lettre il me faut recueillir ces ultimes vestiges : chiffres et dates ; les heures qui les assemblent.

    Orderrière les heures ce sont les paysages. Le temps qui se tient derrière le temps c’est la rotation des paysages. Les Heures ce sont les bourrasques de cette tempête originaire qui fuse. Et tout le texte est traversé par le champ lexical des « rouleaux de la mer » jaillissement et rejaillissement, houle, tornade, avec le jeu des polysémies qu’illustrent un amour de l’étymologie, la recherche du mot « juste », sur le plan phonique, l’importance des consonnes fricatives, allitérantes (faire affluer l’afflux) et sur le plan mélodique celle du rythme et des anaphores.

    Tout en sachant que l’eau originelle est aussi insaisissable que la nuit est intouchable, tout en sachant aussi que le premier temps est d’eau puis on est expulsé dans l’espace où on tombe avec lui.

    Dans sa méditation « océanique », où il prend la mesure du temps, dans sa pensée-rêvée du temps, (loin du temps métrique et pulsatile des portables), il convoque son panthéon littéraire pictural psychanalytique, scientifique aussi (tout en exhumant ceux que l’histoire « officielle » ou « vulgaire » de l’art ou de la littérature a délibérément occultés ou sous-estimés : Claude Mellan, graveur, Jacques Esprit  contemporain du duc de La Rochefoucauld, Frenczi psychanalyste, que Freud a vilipendé, entre autres !)

    Friand d’anecdotes Pascal Quignard sait restituer la singularité poétique de notre rapport au temps. Nous apprenons que la poétesse Emily Dickinson n’a jamais appris à lire l’heure sur un cadran, que le peintre Eugène Boudin notait sur ses toiles le jour et l’heure où elles lui semblaient achevées, que le Livre d’Heures, ouvrage enluminé, permettait aux fidèles pratiquants de suivre le calendrier des fêtes, que le botaniste Linné a inventé l’horloge florale (rythme des éclosions de fleurs au cours de la journée d’abord le nymphéa blanc, à 7h le millepertuis, à 8h le mouron, à 9h le souci…)

     

    Mais il est un « motif » récurrent, qui lie et relie tous les autres dans une forme d’interdépendance. C’est le « jadis ». À différencier du « passé ». Si le « passé » crypte le mythique le biographique le légendaire, le « jadis » accumule silence, obscurité et profondeur, Le « jadis » : une « pulsion inorientée », celle qui nous « constitue » et qu’il faut accueillir quand bien même on la sait énigmatique et loin de tout repère - conscience mémoire et même langage-. Or ne rejaillit-elle pas dans le présent, ne fait-elle pas ressurgir quelque chose qui aurait été perdu ?

    En 1954, une chamane ouïgoure était en train de s’entretenir avec la bru de l’empereur Gengis Khan ; après avoir grommelé les « clés rituelles pour ouvrir les visions » elle renversa la tête. Ce fut un admirable chant sur le jadis qui monta de ses lèvres, « on ne sait plus qui chante de la chamane ou de la reine ».

    En sautant du « il » au « je », du passé à un présent intemporel, d’une situation à une autre, de l’étreinte ou du revers de la voix, Pascal Quignard invite son lecteur -comme il le fait pour lui-même- à retrouver ce « songe immémorial » celui d’un temps « profus indivisible ». C’est par exemple dans la quiétude du présent, cette « amitié silencieuse » qu’il avait partagée avec Emmanuèle Bernheim, cette infatigable nageuse, disparue trop tôt à 62 ans (chapitre 27 1955-2017).

    L’heurene serait-elle pas « ce lieu qui fait récit » ? Son oscillation ne renvoie-t-elle pas à la pulsation des « tempes » ? une pulsation « sanguine, interne, fœtale, anténatale, pré-atmosphérique » (rien de saugrenu donc dans la juxtaposition temps et tempe chapitre 22 « Tempe du temps » ?)

    O vastes fleurs penchées au blanc lavé d’un peu de rose.

     




  • "Perspective(s)" de Laurent Binet (éditions Grasset)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    Roman policier, roman-enquête épistolaire, Perspective(s) nous plonge dans les coulisses du pouvoir des Médicis à Florence en cette année 1557, sur fond de guerres d’Italie, mais aussi, avec la logique de la clandestinité, dans le milieu artistique, -tendances picturales, rivalités, mécénat, affres de la création, contraintes « idéologiques ». Et avec son « espièglerie » habituelle au service d’une immense documentation, Laurent Binet, -à l’instar de Marco Moro le « broyeur de couleurs »-, « triture malaxe » une matière, tisse une toile arachnéenne où l’éclectisme des idiolectes (nombreux correspondants de milieux et cultures différent.es) le dispute à la composition d’une « vaste fresque » (sens propre et figuré). Car à n’en pas douter, le théâtre auquel nous convie dès la fin du prologue un certain B. Laissons le rideau s’ouvrir sur la scène qui est à Florence en 1557 est avant tout une vaste page de littérature.

    Clin d’œil aux « classiques » ? Afin de prouver, en la restituant, la véracité des faits et des propos, Laurent Binet « imagine » qu’un certain B. a trouvé une liasse de manuscrits dans une boutique à Arezzo… Déchiffrement et traduction !!! et pour « faciliter » « notre » lecture ce même B. propose une liste des principaux correspondants. C’est la préface/prologue à valeur épiphanique (B. est amené à « revoir » son jugement sur Florence ; oui au mitan du XVI° la capitale toscane était bien « un creuset dans lequel bouillonnaient les passions, un terreau où fleurissaient les génies »).

    Le roman s’ouvre sur la mort du peintre Jacopo da Pontormo (tout comme la mort du sémiologue Roland Barthes était l’incipit de La septième fonction du langage) évoquée par la jeune Maria de Médicis dans une lettre envoyée à sa tante Catherine de Médicis le 1er janvier 1557. Il se clôt sur la lettre que Jacopo avait envoyée à Michel-Ange le 29 décembre 1556 et que lui-même a insérée dans celle destinée à Agnolo Bronzino le 10 août 1558. Apparente circularité que cette mise en exergue rétrospective sur les « malédictions » et la « vengeance » ?

    Entre janvier 1557 et août 1558, plusieurs « intrigues » sont menées de front dans un époustouflant chassé-croisé  : Vasari est chargé par Cosimo de Médicis de mener l’enquête sur la mort (assassinat) du peintre, Strozzi est chargé par la reine de France de récupérer le tableau de Jacopo où Maria est représentée en Vénus dans la douce et lascive oblation de sa chair, alors que des « insurgés » (séditieux Ciompi) menés par Marco Moro se révoltent contre leurs « conditions » - « ouvriers qui ne sont rien aspirant à être quelque chose », que des sœurs catholiques, comploteuses savonarolistes fustigent les « sodomites » ; et après moult « rebondissements » et des effets d’arborescence ou de cercles concentriques (ne pas spoiler) -avec comme acmé les crues de l’Arno,- les dernières lettres sont comme des soupirs funèbres (les disparus, les trucidés, les aspirants à la Mort). La mort omniprésente, la mort à la fois grief motif prétexte, la mort d’une époque d’une forme d’art, mais qui n’exclut pas un art de la conquête, nouvel « Eros et Thanatos »? Cette construction apparente se double d’une composition qui mutatis mutandis rappellerait la Déposition., un enchevêtrement de personnages qui  paraît à la fois artificiel et esthétiquement sublime ; un groupe structuré verticalement et reposant sur un sol lisse comme une scène de théâtre ; bien plus le « sens du raccord » -et ce sera une pièce à charge pour l’enquête-, spécificité du peintre n’a-t-il pas lui aussi son équivalent dans le texte littéraire (acidulation excessive des coloris, finesse du trait, beauté du rendu) ? La question mérite au moins d’être posée…

    Le romancier en multipliant les points de vue (perspectives) a su pour chaque correspondant établir une corrélation étroite entre son milieu culturel, social, politique et sa « façon de s’exprimer » (idiolecte). Des formules de politesse convenues -voire hypocrites- côtoient des remarques prosaïques (nourriture maux de ventre), des plans très élaborés de stratège dévoilent des architectures insoupçonnées. Des cris d’épouvante indignes de catholiques bienpensants, des propos comminatoires fustigeant une forme de laxisme. Autant le « maître » vieillissant Michel-Ange écartelé entre les objurgations venues de ses commanditaires et ses aspirations profondes fait retentir le glas d’une époque révolue, autant les mesquineries au sein de la famille Médicis frappent par leur amoralité, leur opportunisme et leur cruauté ; autant Agnolo Bronzino est soucieux d’allier esprit et style pour parachever l’œuvre de son maître (la fresque de San Lorenzo) autant Cosimo est avant tout soucieux de « nettoyer » sa ville des séditieux et la perspective d’offrir en pâture la chair humaine (panem et circenses) n’est pas loin de lui déplaire ; autant la jeune Maria n’a rien de la pucelle effarouchée et s’adonne avec volupté aux plaisirs de la chair, autant sa tante mais aussi « son » jeune page pratiquent le double langage ! La dernière lettre du roman (mais la première eu égard à la chronologie) frappe par une forme de spontanéité qui épouse les marques de l’oralité (abondance d’interrogatives et d’exclamatives, de points de suspension, reprises anaphoriques) : un cœur mis à nu avant la mise au tombeau

    A une certaine phraséologie typique du XVI°(vocabulaire, tournures, syntaxe) se superpose celle plus récente des Liaisons dangereuses (XVIII°) ; Catherine de Médicis ne joue-t-elle pas avec sa nièce le même rôle que la marquise de Merteuil  avec Cécile de Volanges? Et dans les « tracts » de Marco ne lit-on pas des « slogans » qui ne dépareraient pas dans des manifestations actuelles ? « Ce que nous voulons ce n’est pas la République mais la justice qui est l’autre nom de la République pour tous » Des réprobations -infamie de la prétendue justice (Bronzino ne peut que déplorer la corruption ; Florence est une pomme pourrie, le duc un maquereau), cruauté de ces temps pour les défenseurs de l’art et de la beauté entrent en résonance avec des préoccupations actuelles…

    La polysémie du mot perspective est induite dans le titre. Multiplicité des points de vue. Acuité de l’enquêteur/détective qui pour déjouer cette « ténébreuse affaire » doit envisager toutes les « possibilités » (tous, amis, ennemis, politiques, artistes, sont de « potentiels » assassins… passer au crible les emplois du temps des uns et des autres, suspicions, enfermement provisoire) Dans le langage pictural la perspective est cette découverte qui a permis de donner l’illusion de profondeur sur une surface plane. Vasari dès le début reproche (entre autres) à Pontormo de n’avoir tenu aucun compte de la perspective dans l’immense fresque de la chapelle (dont le Déluge). Or on sait que le peintre s’en était affranchi dès sa Déposition inaugurant ce qu’on appellera « le maniérisme »… Dans le roman de Laurent Binet, la « perspective »  a une fonction narrative et dramatique : elle « sauve » la vie à Vasari -qui en un éclair voit le monde à travers la camera obscura de Brunelleschi- ; technique, elle est sujet de questionnements philosophiques (cf les longues lettres de Michel Ange qui analyse son pouvoir prométhéen) ; esthétique ne peut-elle s’appliquer à la « construction » d’ensemble - premier et arrière-plan, contrastes entre le « plein » et le « délié », l’ombre et la lumière, le sacré et le profane ?

    Une érudition sans pédantisme au service d’une fiction où l’auteur -comme dans les romans précédents- se plaît à décontextualiser le factuel tout en le (re)contextualisant, en réinventant un vécu pour chacun des correspondants ! Une fiction non dénuée d’humour (rôle inattendu de Michel-Ange, tribulations du tableau ballotté tel un personnage de BD, commentaires subliminaux, visions dignes de films fantastiques).

    Le romancier, double de Michel-Ange, ce Maître vénéré autant que manipulateur ???

     




  • "Les deux Beune" de Pierre Michon (éditions Verdier)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    Composé de deux « textes » dont le premier a été publié en 1996, le roman de Pierre Michon mêle en une confondante unitédifférentes époques -par une constante collision temporelle- ainsi que la double quête du désir et de l’écriture, -métaphores et musique imposent à la phrase sa structure et ses balancements. Phrase qui ne saurait se détacher de la géographie mythique du Périgord, où le monde vibre dans son entièreté tout comme il a pu gésir dès l’origine. Origine qui précisément -et surtout depuis Courbet-, est inscrite dans le sexe de la femme ! Grottes préhistoriques, peintures pariétales, enfouissements de tous les possibles et de tous les fantasmes. Poissons d’argent qui frétillent dans les deux Beune à la confluence de tous les dangers désirés et refoulés tout à la fois !

    Un narrateur -dont le prénom, tel un clin d’œil, ne sera révélé que dans « la petite Beune » s’exprime à la première personne. Le je de l’énonciation se confondant avec le je qui a vécu. Il se penche sur son passé (en recourant au passé simple, à l’imparfait d’habitude et au présent à la fois moment de l’écriture et présent dit gnomique). A 20 ans, il vient d’être nommé instituteur, dans une bourgade du Périgord, à Castelnau. C’est son premier poste.

    D’emblée la « description » des « lieux » impose une lecture plurielle : anthropomorphisation (lèvre de la falaise) superposition par fondus enchaînés où passé et avenir ne font plus qu’un dans la fixité d’un présent éternel, appréhension de la Mort, traversée d’un Styx par des nautoniers bavards et bravaches, ces redoutables pêcheurs attablés, une patronne Hélène pythie des temps nouveaux, et cetteValachie où s’engouffrent ironiquement les clichés (j’étais au fin fond de la Dordogne c’est-à-dire nulle part en Valachie). La confrontation avec les élèves en ce mois pluvieux de septembre 1961, le renvoie tout autant au XIX° à l’époque de Jules Ferry qu’aux temps préhistoriques (vitrines de pierres). Et voici la rencontre épiphanique avec Yvonne la patronne du bureau de tabac. On pense à Frédéric Moreau de l’Education sentimentale « ce fut comme une apparition » hormis qu’Yvonne la belle callipyge -qui d’emblée a provoqué le désir- a tout de la bête : « c’était un beau morceau » (le texte sera d’ailleurs traversé par ces formulations rétrogrades et sexistes ; même si elles sont censées être utilisées au sens archaïque, au sens rupestre des choses comme pour les « figures pariétales »…).

    Le roman « La grande Beune » est le récit de l’empêchement, de l’inassouvissement du désir. La petite Beune serait-il celui de l’accomplissement ?

    27 années séparent les deux textes, mais nous retrouvons les mêmes personnages, la même conjonction du désir et de l’animal, (le renard du tout début qui métaphorisait le désir, les occurrences de la fente, de la carpe, du poisson) peut-être même intensifiée (c’est dire !!!). Et si la pluie a cédé la place au brouillard, l’écran que formait la première se transmue en une forme d’opacité où achoppe la fulgurance du désir. Même dichotomie qui joue avec la gémellité et la sororité et les effets de miroir - les deux Jean, les deux femmes à l’instar des deux rivières, affluents de la Vézère, les tristes compères février et mars, le « trou » découvert le premier soir qui ira se prolongeant en faux tunnel -ce qui n’exclut pas les connotations liées à l’acte sexuel, etc. Même contamination du « style ». La phrase se love sinue emporte la fièvre du désir décollette le fantasme attaché à Yvonne et dans le bruissement du sens qui se marie au bruissement de la Beune, elle dit la source du plaisir, ce flux et reflux des mots, ce souffle cette mélopée qui chante les vertiges, où le « rendu » de la sensualité fait corps avec le couteau de la lune les sequins la lèvre de la falaise les écailles des poissons argent. Dans le questionnement du narrateur, on devine l’entremêlement de l’apprentissage de la langue qu’il doit assumer en tant qu’instituteur/instigateur et du désir réel ou fantasmé (jarretelles du verbe, appâter les hameçons de la grammaire) ; tout le chapitre consacré au fils d’Yvonne dit sans ambages la « monstruosité » de celui qui sacrifie l’innocence à la quête de son désir (à travers les « humiliations » infligées à l’enfant, il fallait provoquer une réaction de la mère, la faire advenir à…)

    Au fond d’une grange repose une moissonneuse batteuse ; elle barre l’accès à une grotte qui aurait été « peinte » mais un soir d’ivresse les deux acolytes, les deux Jean, avaient tout nettoyé au Karcher. L’épisode mérite d’être retenu car il éclaire la façon dont procède le romancier dans « La petite Beune » : installer une forme de cérémonial dans l’amplitude d’une phrase complexe -qui va de pair avec la montée du désir – (l’accouplement est un cérémonial -s’il ne l’est pas c’est un travail de chien. La jouissance est une phrase. Longue contournée obéissant à des rites, des formes) puis brutalement ce sera l’éclatement de phrases brèves, énoncés quasi lapidaires tel ce graffiti hic fututa sum (lupanar à Pompéi), le recours au dialogue (dans un texte d’où il est globalement banni) qui privilégie l’oralité ; phrase silex ! « mon silex, mon sens » « le sens est un biface ».

     

    Et c’est rétrospectivement que l’on comprendra mieux le sens de l’exergue emprunté à Andreï Platonov

    « La terre dormait nue et tourmentée comme une mère dont la couverture aurait glissé »

     




  • « Fantaisies guérillères » de Guillaume Lebrun (éditions Bourgois)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    En revisitant l’histoire de Jeanne d’Arc, dans une langue hybride qui tel un sabir mêle allègrement argot contemporain, anglicismes, tournures de l‘anglo-normand, faux moyen français, et culture pop, Guillaume Lebrun -dont Fantaisies guérillères est le premier roman- non seulement s’en est donné à cœur joie mais il est parvenu à communiquer ce plaisir à ses lecteurs.

    Bienvenue dans un univers désopilant, digne de celui des Monty Python !!


     

    Voici une narratrice Yolande d’Aragon, (dite YO) belle-mère du futur Charles VII, sa voix sera relayée par celle de Jehanne numéro 12, -l’élue qui « sauvera » la France-, alors que Jehanne numéro 7 est chargée de « façonner le boniment à clampins » -Domrémy les moutons la piété (c’est que le peuple a besoin d’une histoire voire d’une mythologie qui façonnera son imaginaire).

    Yolande appartient au parti des Armagnacs par son mariage mais opportuniste, elle peut rallier le clan des Bourguignons. À son actif : la mort des deux fils du roi, l’empoisonnement de son mari Louis II d’Anjou, et pour répondre à Louis III, savoureuse, elle proclame « sweetheart nous ne sommes ready nenni ».

    C’est le bordel en France : guerres fratricides (Armagnac/Bourguignon) guerre de Cent ans (France/Angleterre). Comment y remédier ? Yolande croit dans le pouvoir et les vertus des Esprits. Sa vision ? Une prophétie. Un message du Maître ; son vrai Dieu « le royaume sera sauvé par une bielle et vaillante et vierge Guérillère » capable de « bouter hors de France les « envahisseurs » » et de mettre fin à la guerre civile. De fidèles chevaliers « battent la campagne » pour « recruter » les « pucelles ». Ce sera le jehanne project (once again welcome).

    Et c’est ainsi que Jehanne (l’être providentiel) va apparaître dans le récit ; un personnage aux antipodes de l’image iconique qui a traversé les siècles (dans ses différentes récupérations politiques) ; Jehanne 12 est un laideron sale et potelé, ignare et fort en gueule ; homosexuelle la « pourcelle » -sobriquet donné par YO car Jehanne s’épanouissait dans la compagnie des porcs- est secrètement amoureuse de YO !

    La voix de Jehanne 12 (dans les chapitres toxic, gone girl, city of angels) apporte un point de vue différent de celui de YO, quand il s’agit de relater des événements similaires ; mais pour d’autres faits/événements auxquels YO n’a pu assister (la scène de carnage par exemple) elle est censée en expliciter la genèse et la nature ; de même en adoptant une focalisation interne elle se plaît à évoquer son intimité -la volupté de « la léchure somptueuse par exemple ou son goût cannibalesque -prise en flagrant délit de savourer la chair de ses trucidés, elle sera d’ailleurs « châtiée ».

    L’épisode d’Orléans vaut son pesant de gore et de fantasmagorie. Jehanne est SEULE ou plutôt entourée de fantômes féminins. On crie à la sorcellerie… YO était persuadée qu’Orléans était le Nœud de la Grande Jonction, elle doit se rendre à l’évidence : le Maître est un Usurpateur !!!

    Et voici les « résistantes » luttant contre le « néant de la beste ». Certaines sont exhumées du Livre (gravé sur le corps d’Abdul). L’auteur nous entraîne (20 pages) dans un récit épique celui d’un combat, d’un massacre d’une hécatombe où giclent le visqueux et le gore !!! Avant le « twist » qui, telle une ronde de Matisse, salue le triomphe de la sororité. Jehanne ? Bien évidemment, elle est au-dessus du « lot genré ». Le lecteur quant à lui est invité à feuilleter les « vies parallèles des femmes illustres ». Et l’histoire (sens large) reprendra ses droits : Charles VII abandonne Jehanne (Yolande agit de même).

    On comprend a posteriori la recommandation liminaire destinée aux moines copistes « aucune protestation de votre part concernant la véracité de ce récit ne sera prise en compte ».

    Par moments la cacophonie -certes maîtrisée dans ses épousailles avec la parodie- peut donner l’impression de gratuité et lassera peut-être certains lecteurs !!!

    Fantaisies guérillères n’en reste pas moins un roman de la turbulence et de l’exubérance (dans toutes les acceptions de ces termes) aux accents queer et féministe ; un roman où l’inventivité et l’audace font bon ménage avec une documentation époustouflante et féconde !




  • « Nouvelle Vague » de Patrick Roegiers (éditions Grasset)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    Après « Le roi, Donald Duck et les vacances du dessinateur », un ciné roman où les personnages principaux le roi Léopold III et Hergé jouaient leur propre rôle dans un film que l’on tournait en même temps que les pages du récit, voici les maîtres incontestés de la Nouvelle Vague (dont Truffaut Godard Rivette Resnais Rohmer Chabrol Varda) leurs acteurs fétiches (la liste serait longue) devenus « personnages » du roman de Patrick Roegiers Nouvelle Vague. Composé de vingt-quatre chapitres (comme le cinéma c’est la vérité 24 fois par seconde !!) ou vingt-quatre séquences, ce roman entraîne le lecteur dans les « coulisses » de la création (celle de l’écrivain, celle des réalisateurs, celle des acteurs). Des séquences avec des fondus enchaînés, des raccords audacieux, un (ou plusieurs) fil(s) directeur(s) car si le temps est un thème récurrent, le duo Bacri/Dussolier du film de Resnais On connaît la chanson n’est-il pas censé assurer une permanence dans l’impermanence des « choses de la vie » ?

     

    En ouverture, tel un prologue, voici la salle de rédaction des Cahiers du cinéma (pierre angulaire de la Nouvelle Vague) et la bande des quatre « cinglés de cinéphilie, résolus et fanatiques, intolérants et provocateurs ».

    Deux films vont servir de support Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda (le « personnage » est annoncé à la fin du premier chapitre) et On connaît la chanson de Resnais (raccord : salon de coiffure Alexandre). Patrick Roegiers en restitue des pans entiers -comme directement empruntés au scénario ou au storyboard-, débordant le cadre des chapitres, débordant aussi le cadre « historique ». Mais ne nous y trompons pas ! l’auteur se plaît à « imaginer », à « superposer ». Il procède aussi par arborescences encyclopédiques. Saluons au passage son érudition ; il ne s’agit nullement de « reproduire » des pages de Wikipédia comme le font certains, mais de redonner à la littérature (conjointement au cinéma) une fonction qui mêle interprétation du réel, fiction, travail de mémoire. Une fonction exploitée dans La traversée des plaisirs et dans l’uchronie La nuit du monde. Friand d’anecdotes, de citations, il fait « revivre » les « artistes » dans leur quotidien (lieu d’habitation, mensurations, gouailles, détestations, phobies, amours). On retrouve son goût prononcé pour les accointances les ressemblances (les coïncidences existent affirme-t-il quand il imagine Eric Rohmer et Alain Resnais conversant dans un bus le temps d’une séquence, sur la finalité le contenu les exigences de la création cinématographique même si l’un (Eric) est son propre adaptateur et que l’autre (Alain) adapte pour l’écran l’œuvre des autres ils voient le dôme des Invalides que Maurice Ronet contemple de son appartement (renvoi au film de Chabrol) et comme Rohmer n’aime pas rester assis trop longtemps à cause de sa scoliose, ils descendent ; fin du voyage qui coïncide avec la fin de la séquence… D’autres coïncidences prouveraient aisément que certains lieux sont « habités » (osons le « pastiche » comme les plages d’Agnès) en revanche celles sur le chiffre 13 (par trois fois répétées) se limiteraient à un simple constat !

     

    Dans le travail de « recension » l’auteur insère des souvenirs personnels ; ici le « je » intrusif joue (auto dérision ?) sur une fonction testimoniale désuète (comme moi ; je l’aperçois ; j’y ai été ; je l’ai vu Montand Resnais ; je ne l’ai vu qu’une fois). Mais parfois de façon plus éloquente le « je » peut impulser un chapitre (séquence du Garçon) dire haut et fort l’admiration pour Sautet -cet architecte de l’émotion, ce mélomane des sentiments et des passions ce sismographe des sentiments et les affinités avec Resnais (le chapitre 18 s’ouvre sur cet aveu « Alain Resnais est peut-être le metteur en scène que j’admire le plus et celui avec qui je me sens le plus d’affinités. Le film que je préfère, et de loin, est On connaît la chanson 1997 avec une prédilection pour la scène où Simon (Dussolier) se « voit passer en uniforme d’apparat de la Garde républicaine à cheval » et il chante Vertige d’amour d’Alain Bashung).

    Et pour chacun des réalisateurs évoqués voici une formule-choc : Godard ne fait pas un film politique mais il fait politiquement un film ; Chabrol ? entomologiste des insectes sociaux. Resnais « aventurier de la nouveauté, perfectionniste facétieux » ; Rohmer et son vérisme maniaque ; il en va de même pour certains acteurs : Luchini « chorégraphe du verbe, intello brillant ludion exaspérant cabot irritant ».

     

    La partition est scandée, ponctuée par des expressions laudatives (« quel récital ») ou ironiques selon le contexte, par des onomatopées (tchac, ding) quand ce n’est pas la reproduction pure et simple de claps ou des fameux « action » « coupez ».

    La phrase peut épouser le rythme de la scène : ainsi grâce à une longue phrase accumulative faite de propositions courtes et de verbes d’action, nous imaginons Yves Montand chorégraphier ses allées et venues à l’intérieur de cette salle de restaurant (dans le Garçon) mais après tout un serveur n’est-il pas un comédien en représentation et un acteur débutant est-il autre chose qu’un porteur de plats ? Patrick Roegiers aime aussi mélanger les genres (il mêle blocs narratifs propres au récit, dialogues empruntés au genre théâtral, change de police et de disposition typographique) ; la restitution (en mots et en images) la plus bluffante est celle de l’accident dans Les choses de la vie.

    Ce roman alerte -formidable plongée dans les années de la nouvelle vague- a les allures d’une saga romanesque (réseau complexe de personnages) dont les mouvements épouseraient ceux d’une caméra vive et parfois vertigineuse. L’auteur nous aura entraînés d’un plateau à l’autre, d’un film à un autre, d’une méthode de travail à une autre d’un palier à un autre, débusquant des auteurs des acteurs à la fois bien en chair et transparents (à l’instar de cette méduse qui apparaît en surimpression pendant la scène de la crémaillère à la fin du film de Resnais ?)

     




  • « L’heure des oiseaux » de Maud Simonnot (Les éditions de l’Observatoire)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    2008 : on découvre que le célèbre orphelinat de l’île de Jersey qui avait fermé dans les années 1970, était un lieu de maltraitance physique et psychique. En s’emparant de ce réel, -un factuel vérifiable-,la romancière cherche -tout en le fustigeant- à l’incarner dans le parcours/destin de deux enfants orphelins Lily et le Petit. Parcours qu’elle confronte à l’enquête menée 60 ans plus tard par une jeune femme sur les traces de son père. Montage parallèle, dualité et gémellité, réalisme et onirisme, traversent en un faisceau d’enchevêtrements un drame qui devient une tragédie existentielle avant d’être exhaussée au rang de tragédie mythique !

    Soit deux temporalités, deux types d’énonciation (le je de la narratrice et un récit à la 3ème personne) deux « enquêtes » mais qui sont aussi « quêtes » de soi, quête des origines, deux « styles » d’écriture -journalistique et poétique, du moins au tout début. Ce choix initial peut paraître « artificiel » mais grâce au soin apporté aux raccords et grâce à des similitudes par-delà la temporalité - la sensibilité aux chants des oiseaux, les liens de parenté – les deux « blocs narratifs » loin de se juxtaposer en morceaux éclatés, vont se croiser jusqu’à parfois s’enchevêtrer, tout en préservant leur spécificité.

    Lily pour pallier les brimades la maltraitance survit grâce au chant des oiseaux, grâce à la découverte de la Forêt oubliée, grâce à la connivence avec l’ermite et grâce à l’amour « inconditionnel qui la lie au Petit » ; dans le lieu de profonde paix elle rêve sa vie ; couronnée de branches et de pétales, cette Déméter des temps modernesse crée un jardin inviolable pour affronter le supplice quotidien ; elle exécute une danse du soleil tenant un fossile soit des millions d’années dans ses mains. Mais l’île est -par essence- une prison dont elle ne pourra hélas ! s’échapper. (Une île est une cellule à ciel ouvert ; l’azur forme un mur). Au moins avec le Petit (Simon) elle aura su « briser la normalité de ce monde, en arracher le voile, et permettre aux choses de briller de leur propre lumière intérieure » (Valeria LuiselliArchives des enfants perdus, cf exergue). Tout cela est évoqué avec l’élégance poétique du conte !

    La narratrice, progressivement, méticuleusement, « reconstitue » les événements : elle a rencontré les deux sœurs l’ex institutrice et l’ex intendante, a recueilli le témoignage de Meredith, a consulté les « archives » de police, a pu voir le cliché du cadavre au bas de la falaise, s’est interrogée sur le rôle d’Alphonse Le Gastelois. Sur les traces de son père enfant, elle a découvert l’abandon, la solitude et le mal ; son enquête est évoquée avec la distance propre au style froid du journalisme mais se pare de remarques plus personnelles agrémentées de souvenirs (restitués tels des flashes). La fin de son enquête coïnciderait avec la découverte d’un crave que lui avait demandé son ami ; en vain elle l’avait cherché dans les crevasses alors que la corneille sautille à la surface du marais « tout était maintenant à sa place sur l’île ». Encore que !!!

    Sa perception de la mer, de l’île a changé (la mer avait permis à ces gens de vivre en paix avec leurs secrets, c’est elle qui leur conférait cette arrogance ; en temps normal j’aurais été séduite par la beauté de ce spectacle marin).

    Parallèlement, 60 ans auparavant, au moment de s’enfuir, Lily ne « reconnaît » pas la beauté de la caverne, cette cosmogonie de dentelle de pierre et d’ocre que lui avait fait découvrir l’ermite ; cette fois-ci l’inquiétude annule toute beauté. Funeste pressentiment !

    À mesure que progresse l’enquête, les différences entre les deux styles si particuliers (voire opposés) semblent s’amenuiser et les descriptions (ambiances, circulations d’odeurs, répartitions des couleurs, musique des chants d’oiseaux) s’inscrivent dans une façon de percevoir le « monde » assez similaire. C’est que les deux personnages sont hyper sensibles au « monde » de la flore de l’humain et de l’animal même si l’une, liée immanquablement à l’enfance, est dictée par l’instinct de « survie » et joue le rôle de viatique et que l’autre a été précieusement « enseignée » par le père et le compositeur Olivier Messiaen.

    Si le mal est incarné par Y le surveillant et par le directeur Tilbrook, deux sadiques, mais aussi par les « notables » locaux !! les tortures brimades viols resteront hors champ. Leur suggestion en sera d’autant plus forte pour ne pas dire insoutenable ! Lilya fermé les yeux marrons, a cessé de respirer, son esprit s’est échappé de la cave elle entend un rouge-gorge qui module ses trilles. Cave maudite ! Entrailles de la Honte ! Inhumaines !

    Lily avait découvert son « corps » ses yeux en amande son visage de madone solaire ; elle a revêtu la robe rouge ; pour ne plus jamais se laisser piéger dans son corps de… Elle a attendu « l’heure des oiseaux » son heure préférée celle où la forêt devenue bleue renaît. Cette heure merveilleuse suspendue avant l’aube, où tous les chagrins s’effacent, où tous les espoirs semblent permis.

     

    Elle n’aura pas eu le temps de déplier ses ailes mais pas eu le temps non plus d’avoir mal. Ni de voir le jeune chevreuil qui a fait craquer la branche bondir avec sa grâce habituelle à travers le sous-bois.




  • « King Kasaï » de Christophe Boltanski (Ma nuit au musée Stock)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    Chaque année, la maison d'édition Stock demande à un écrivain de s'enfermer (avec son sac de couchage ?) et de passer la nuit seul dans un musée. Ce fut le Museo del Greco à Tolède que choisit Leonor de Recondo, (la leçon des ténèbres), le musée Picasso pour Enki Bilal (Nu avec Picasso). Christophe Boltanski a opté quant à lui pour le musée du Congo belge (rebaptisé Musée royal de l'Afrique centrale, puis depuis 2018 Africa Museum). Il l’avait visité en 2010 dans le cadre d’un autre livre qui se passait au Congo et pince-sans-rire il pose ingénument la question « comment décoloniser un musée, parangon du colonialisme » (le Congo qui fut LA propriété privée du roi Léopold II).

    Avant de pénétrer dans l’empire comprimé dans une boîte, une encyclopédie à trois dimensions, une arche qui contient tout, toute la mémoire d’un monde rassemblée dans un même écrin, bien avant de se poser sur le lit de camp face au King Kasaï (cet énorme éléphant empaillé après avoir été sauvagement tué… en vue de l’expo de 1958), le « voyageur » (car il s’agit d’une « authentique expédition » dans ses sens propre et figuré) s’arrête à Tervuren, église Saint Jean l’Evangéliste ; il contemple la nécropole oubliée : 7 dalles 7 stèles 7 cénotaphes, la date gravée 1897 et nous lisons le « martyrologe » Sambo Zao Ekia Pemba Kitoukwa Mibange Mpeia ; 7 êtres jadis jetés en pâture, encagés comme des bêtes, exposés au regard des promeneurs de l’expo universelle de 1897. Ces mêmes noms auront la force conclusive d’une coda quand le « voyageur » aura terminé son périple « au cœur des ténèbres ». De même avant de pénétrer dans le monde de King Kasaï -et la lecture sera aussi un voyage intérieur- le lecteur est invité à s’interroger sur l’exhortation de Frantz Fanon, dédiée aux « damnés de la terre » ; un exergue, telle une devise gravée au fronton de l’Histoire, exergue qui d’emblée souligne la dimension à la fois historique et politique de l’ouvrage de Christophe Boltanski. Et d’ailleurs, même la « restauration » du musée qui contraint le visiteur à emprunter d’abord une voie souterraine, ne correspond-elle pas à une vision typiquement coloniale : appréhender le continent africain par ses « tréfonds », « ses trésors enfouis » que l’on est venu « piller » sans vergogne !!!!

    En faisant se télescoper plusieurs temporalités et plusieurs « motifs » l’auteur tisse un réseau de correspondances qui architecturent sa narration (au gré de son cheminement au « cœur des ténèbres » et des pauses) : dualité, gémellités, similitudes, superpositions et mises en abyme. Voici le passé confronté au présent, une visite antérieure et la visite actuelle, les péripéties et Tintin au Congo, (Hergé a puisé sa matière dans ce qui fut le Musée du Congo belge et sa bande dessinée est le miroir d’un colonialisme décomplexé affiché en haut lieu au début du XX° siècle), la forêt primitive hostile que traverse Marlow dans le roman de Conrad « Au coeur des ténèbres » et le souterrain que doit emprunter l’auteur, la recherche de Kurtz et celle d’Alphonse Boekhat, comme Charlie Marlow j’avance à contre-courant, je pars moi aussi sur les traces d’un Kurtz. Boltanski se plaît aussi à jouer sur la dichotomie du mot « sens » : où aller ? quelle signification donner ? ce que confirme l’abondance des interrogatives ; « où suis-je ? », « vers quels confins me suis-je égaré ? », « je songe à revenir sur mes pas mais pour aller où ? », Voyageur aveugle dans ce qui se donne à voir il nous entraîne dans un dédale piranésien. Et que signifie « statues en dépôt » (fruit d’un compromis bancal ? Je ne suis pas le seul à tâtonner dans le noir).

    Le « style » emprunte parfois aux exposés didactiques mais ils sont toujours empreints d’ironie (la généalogie des Boekhat, l’historique du colonialisme belge en la personne de Léopold II par exemple). Le surnom King Kasaï donné à l’éléphant serait en lui-même un oxymore ou du moins une antiphrase. Un éléphant traqué abattu, une royauté bafouée ; aux bords d’un affluent du Congo ? et la chasse comme métonymie de la colonisation (que ce soit Alphonse Boekhat ou le personnage de BD Tintin) et ce que l’on donne à voir a été écharné, disséqué, éviscéré ou crucifié sur du liège à l’instar d’un continent ??

    Qu’il s’agisse de trophées, d’animaux empaillés, d’objets, qu’il entende les « appels » de la forêt fantôme, qu’il lise attentivement les cartels, l’auteur le met en résonance avec les « déflagrations » du monde et si la tentation de juger est « vive » elle n’a rien à voir avec celle péremptoire des procureurs en carton-pâte de nos médias…

    L’essentiel est ailleurs. Un musée des autres nous informe d’abord sur nous-mêmes.

    N’étant pas historien, ni ethnologue encore moins naturaliste ou géographe, l’auteur n’est pas habilité à « juger les œuvres du monstre/Musée » ; il le reconnaît (avec humilité ?) au début alors qu’il vient de s’engouffrer dans son ventre ; un aveu que renforce la répétition de l’adverbe « trop » trop imposant trop lourd trop chargé trop casse-gueule ; mais il est convaincu que ce musée montre moins le Congo que la vision occidentale de ce pays et que la colonisation n’est pas seulement une « histoire belge » mais un récit européen.

    Récit aujourd’hui délibérément édulcoré ; or les traces de ce qui a été, sont là en filigrane tel un palimpseste, (cf 4ème de couverture « l’histoire s’enfonce dans la nuit européenne […] l’auteur s’aventure au cœur des plus violentes ténèbres, celles de notre mémoire »).










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