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Littérature

Critiques littéraires

  • "Jacques à la guerre" de Philippe Torreton (éditions Plon)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    Acteur de théâtre et de cinéma, metteur en scène (Don Juan), homme engagé dans les combats politiques de son temps, Philippe Torreton est aussi écrivain. Dans son dernier opus il va donner la parole à Jacques, son père, en privilégiant deux grands moments de son passé : la Seconde Guerre mondiale et la guerre en Indochine, toutes deux vécues de l’intérieur. C’est le sens littéral du titre « Jacques à la guerre » (où la préposition « à » désigne à la fois un rapport de position dans une situation et une manière d’agir ou d’être). Alors qu’habituellement -quand l’auteur/narrateur se souvient- on assiste à la résurgence d’un souvenir, ici c’est le passé inventé et/ou reconstitué qui dans l’écriture de Philippe Torreton justifie à la fois énonciation, énoncé et montage. En se substituant au père, en faisant corps avec lui, en pénétrant ses pensées, l’auteur offre au lecteur un texte à la fois efficace et bouleversant qu'il dédie "à toutes ces gouttes d'hommes que l'océan de l'Histoire rend invisibles".

    Efficace car le temps subjectif se compte moins en dates (même si certaines sont mentionnées avec précision) qu’en souffles ; car les atrocités de la guerre sont vécues avec des yeux d’enfant ou pré-adolescent à Rouen, puis d’appelé en Indochine confronté aux inepties incuries paradoxes et responsabilités de la France dans sa guerre coloniale ; car dans les deux cas il s’agit bien de la folie humaine et de ses conséquences tragiques. Ainsi Philippe Torreton en écrivant « le roman de son père » dénoncera aussi l’absurdité de la guerre.

    Bouleversant, car la voix de Jacques (emploi du pronom je) se double d’une voix intérieure (plus de dix chapitres en italique disent les dernières pensées du père qui se meurt sur son lit d’hôpital…) ; car sur ce lit de la Mort, le texte de l’auteur joue le rôle de linceul avant que résonne au final, « Merci, Papa ». Bouleversant aussi le portrait d’un homme simple, confronté malgré lui à la violence, d’un homme taraudé par la mort du père, d’un homme qui lors d’un congé a la révélation quasi épiphanique de l’amour (en la personne de Claudine). Et le dernier chapitre où du profond résonnent ses dernières paroles, ne peut-il se lire comme une longue épitaphe ?

    Le chapitre d’ouverture très court, se donne à lire comme une mise en abyme : y sont mentionnés, le souvenir d’un moment unique où Jacques enfant a été seul avec son père et la dure réalité (guerre, mort du père, Indochine). De ce moment privilégié Jacques gardera la sensation de la main paternelle sur sa cuisse, telle une empreinte indélébile, jusqu’à sa mort ! La répétition de la préposition « après » souligne les étapes marquantes d’une Vie. Et dans l’énoncé lui-même on devine d’emblée le travail sur l’écriture : Philippe Torreton va mêler différents registres de langue où l’écrit gardera les marques de l’oralité.

    On remarquera très vite le mélange des tonalités des registres (réaliste, naturaliste, ironique, dramatique aussi) le mélange de familiarité -choix lexicaux et syntaxe- et de poésie expressionniste (pour exemple : le tableau de Rouen éviscérée rappelant Rembrandt auquel répond en écho celui de Rouen reconstruite que voit Benjamin le fils de Jacques : à la carcasse de bœuf suspendue par les pattes arrière meurtrie éclaboussée qu’avait vue Jacquot répond le tableau d’une ville « nouvelle » dont la guerre avait recroquevillé les orteils, victime rafistolée à coups de prothèses utiles pour faire circuler les vivants autour de son centre devenu, par la force brutale des choses, historique. Des formules-choc fulgurantes parcourent le récit : voyez ces gens « marcher et fuir sans rien d’autre que de la suie et des larmes pour bagages » « face à sa (la mort) gueule écumante de fumées et de gravats, nos cages thoraciques n’étaient plus que des cages d’oiseaux empaillés » « moi j’avais l’encongayage platonique » « ses phrases (lettres de la mère) poussent les unes après les autres comme les mailles d’un tricot de laine » « la guerre c’était comme voir l’arrière-cuisine d’un restaurant négligé, ça ne donnait plus jamais envie d’y prendre ses repas ».

    On sera séduit par la subtilité de la construction (équivalent du montage au cinéma) où la linéarité chronologique n’est qu’apparente. Dès le début en effet, un montage alterné crée des va-et-vient entre Rouen occupée bombardée et l’Indochine. À cela s’ajoutent des échos intérieurs : Jacques met en parallèle des situations qu’il juge similaires d’une époque à l’autre, d’un lieu à l’autre. Plus évident encore le procédé de la variation : un « épisode » d’abord mentionné (tel un flash) sera repris, amplifié (un exemple parmi tant d’autres : l’accident en compagnie de Morin : la jipe la mine le boum). Une analyse précise attentive mettrait en évidence le jeu de raccords entre les chapitres de récit et ceux de la parole intérieure restituée en italique; -ce peut être un objet une sensation un personnage voire un thème- et heureusement ! -et là j’ose espérer ne pas me fourvoyer- sinon c’est la porte ouverte au n’importe quoi, c’est une forme de mépris pour le lecteur ou le spectateur auquel on reproche trop hâtivement une insouciante légèreté…

    La guerre est déclinée dans ses sens propre et figuré. Bombardements fuite (Rouen) défaite à Dien Bên Phu prémices de la guerre d’Algérie. Jacques avoue à un moment « la guerre c’était tout ce qu’on m’avait donné pour l’instant » et quand il en loue les « bienfaits apparents » (elle avait ça de bon) c’est à n’en pas douter pure ironie. Car la sale guerre coloniale le laisse maréchal sans logis désappointé dans une « quarantaine chagrineuse » où il doit affronter son avenir « ma guerre commençait ». Mais bien vite, sa route il la connaîtra, sa guerre il l’a trouvée « défendre coûte que coûte » celle qui -il en est convaincu- va devenir sa femme Ma guerre avait duré 16 ans. La libération, la vraie, commençait maintenant.

    À l’instar d’Hamlet -cité en exergue- qui semble voir son père « dans les yeux de l’âme », Jacques aura continué à voir son propre père tout en sachant qu’il faut « meubler d’un bourdonnement de mots le grand silence de l’absent »… il en va demême pour Benjamin le fils : la narration se focalise sur lui à partir du chapitre 73, et plus particulièrement sur l’épisode de Cambrai ; il réussi à être « réformé » !!! « T'as raison tu as autre chose à foutre que de perdre un an avec ces conneries » lui dira le père à son retour.

    On devine la même empathie d’une génération à l’autre pour la figure paternelle à tel point -n’étaient-ce les particularités d’une époque bien définie- que la confusion peut s’opérer...

    Et c’est par les « yeux » qu’ils (Jacques et Benjamin) communiqueront dans l’instant suprême de la mort « je te vois me regarder... je veux m’en prendre plein les mirettes de ta bouille, regarde mes prunelles t’as vu comment j’écarquille... Vas-y mon tout petit... je n’ai plus que ça mes yeux, mes yeux pour te dire...

    Des yeux qui possèdent déjà ce qu’ils regardent !




  • "La mutualisation du crime" de Jean-Marc Pitte (éditions french pulp)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    Aux bains Széchenyl à Budapest, un journaliste Otis Demeurs, aperçoit une femme qu’il croyait morte, victime des attentats du 11 septembre 2001. Pure illusion ? Puis il est témoin de la mort d’un septuagénaire. Y a-t-il corrélation entre ces deux « faits » ? Ce sera précisément l’objet de son enquête, de sa double enquête -sur la « disparue » et sur le meurtre- : démêler tout un écheveau de connexions. Une enquête policière certes mais qui privilégie -comme certains auteurs auxquels Jean-Marc Pitte fait référence-, la description « à travers les affres des personnages, de la réalité sociale de leur époque » Et au final l’enquête ne se mue-t-elle pas en quête de soi ?

    Pour remonter le fil, démêler l’écheveau de convergences, de desseins, -et tout un champ lexical renvoie à la notion de maillage, « tissage », équivalent de ce textus support de l’écriture- l’auteur multiplie les points de vue en enchâssant les récits, à l’instar du journaliste d’investigation et/ou du reporter qui se doit de collecter les informations, les vérifier, les mettre en parallèle, les contextualiser. Il y a bien sûr le récit d’Otis qui évoque avec profusion de détails sa démarche. Il rapporte les récits de Frenc, un Hongrois, ex-journaliste désormais fixeur et de Viktor Kovacs afin de cerner la personnalité d’Imre Bajdel le septuagénaire assassiné à Budapest en ce 22 décembre 2015. Parallèlement le journaliste rapporte en les faisant siens les récits de Samah Djaoudi (l’amie de Sophie la « disparue ») qui elle-même rapporte celui d’Odette -la tante de Sophie ; ou encore celui d’Agostina amie d’enfance de la mère de Sophie, avec cette astucieuse mise en abyme : Agostina, amatrice de polars a imaginé pour l’écriture de son prochain roman, le concept de mutualisation ducrime... Ils permettront à Otis d’approcher au plus près la personnalité de Sophie, de revisiter son passé, de comprendre ses motivations. À cet enchâssement correspond la multiplication des lieux, (Budapest, New York, Paris, la Bretagne, Haïti, Bruges) ce dont rendent compte les titres des différents chapitres. Enfin, par un jeu de relais dans l’énonciation, le lecteur va participer activement à l’élaboration d’une vérité et comprendre les agissements de cette organisation l’Hippocampe qui a « mutualisé le crime ».  Sophie s’exprime à partir du chapitre 16, puis ce sera Samah et enfin Marlène, la responsable d’Hippocampe. Non pas « brouillage » (les titres informent d’ailleurs sur l’identité de celui qui prend la parole, sur le lieu et la date) mais par une exploitation de schémas narratifs propres au roman « polyphonique » faire du lecteur un complice… Et pour rendre le texte vivant l’auteur alterne narration et dialogues.

    Si apparemment l’enquête suit un ordre chronologique, -de décembre 2015 à février 2017- certains chapitres sont des flash-back. Dans le chapitre 3, New York 2001, Otis restitue l’article west sad story qu’il avait écrit suite à la mort  (présumée) de Sophie Ponsard ; en écho au chapitre 24 la même Sophie revit les événements de ce 11 septembre 2001. Et dans le dernier chapitre, le lecteur revoit la séquence d’ouverture (bains Budapest décembre 2015) selon le point de vue de Sophie ; ce qui dans la circularité même du roman est à la fois épiphanie et résolution.

    À travers la double enquête, c’est tout un pan de l’actualité, de notre actualité qui apparaît au grand jour et sous un autre jour aussi : l’immigration, les réseaux de pédophilie et de trafic d’organes et surtout les violences faites aux femmes. Otis Demeurs, journaliste au New York Times, est amené à couvrir la vague migratoire se heurtant à la digue érigée par la police hongroise. Pourquoi les Hongrois sont hostiles à l’accueil de migrants alors que les mêmes sous le régime communiste rêvaient de migrer vers... l’Ouest... Comment Imre Bajdel -une monstrueuse ordure- ancien espion communiste reconverti dans « l’exercice décomplexé de l’économie de marché », est devenu un personnage incontournable impliqué dans tous les domaines et dans les réseaux les plus mafieux  -dont celui du trafic d’organes d’enfants…de migrants (soi-disant disparus).

    L’auteur a coutume de rappeler sa conversation avec une gynécologue militant pour la cause des femmes (elle inspirera d’ailleurs le personnage de Marlène). La violence -domestique- un fléau, une tragédie, hélas trop souvent impunie... En se penchant sur le passé de Sophie (elle-même d’ailleurs à la recherche de ses origines) Otis découvre l’horreur. De même le sort subi par sa femme Claire en 1993 illustre l’innommable, l’impensable barbarie.

    Doit-on pour autant exécuter les prédateurs, tortionnaires, violeurs, en mutualisant le crime ? Éliminer en soustrayant un être qui, vivant, aurait continué à semer la peine, la douleur et la désolation (l’Hippocampe ou le seul rempart contre l’impunité). Problème d’ordre éthique ? Pas seulement : c’est le sens du dialogue qui oppose Otis à Marlène (chapitre 29).

    Résonances entre l’enquête et la vie, le travail d’Otis ? Assurément. Conséquences aussi. Par des flash-back, par des phénomènes de surimpression un pan de son passé se dévoile : morts prématurées du père, de la mère, et de Claire ; l’espoir refoulé de les « revoir » ne ferait-il pas écho à la vision de Sophie dans les bains de Bucarest ? Quand il piétine dans ses recherches qu’il « est dans le flou, à la ramasse » le journaliste comprend que lui aussi est un rouage d’un plan ourdi par une  organisation… Dépossédé dénudé observé il n’a plus l’initiative et doit attendre que « la vérité lui soit révélée » alors que le lecteur… Parallèlement Sophie mènera son enquête sur les meurtriers de Claire...

    Depuis la tragédie de 1993, Otis avait perdu insouciance et joie de vivre. Samah d’abord sollicitée pour son aide précieuse va seglisser dans sa vie comme un gant.  Et c’est par ses yeux qu’il va (re)découvrir son quartier new-yorkais « the village » (Christopher Street Hudson, Bleecker Street W10th Street). C’est elle qui, le conduisant sur les routes du New Jersey, le détourne (définitivement ?) de son chagrin… C’est qu’elle veut partager avec lui un rêve : traverser les USA à moto sur les traces de Peter Fonda et Dennis Hopper, croiser la route du Motocycle Boy de Coppola.

    Il se relâche, il se détend, il a confiance. Le vent, la vitesse lui lavent la tête. Au diable les contrôles des shérifs de comté…

    J’accélère...




  • "Les vies de papier" de Rabih Alameddine (édition les Escales)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    traduit de l’anglais par Nicolas Richard

    Prix Femina étranger 2016

     

    Elle se prénomme Aaliya l’élevée, celle qui est au-dessus; elle a 72 ans, elle vit seule dans un appartement à Beyrouth, elle s’apprête à fêter le rituel de fin d’année : relire la dernière traduction et en commencer une autre. C’est à elle que Rabih Alameddine donne la parole dans son roman « les vies de papier ». Un roman dans lequel le portrait d’une femme téméraire, amoureuse des lettres, va se superposer à celui d’une ville :  Beyrouth et ses stigmates, Beyrouth bafouée mais jamais avilie. Un récit où dominent humour et auto-dérision, un récit d’où émergent un autre récit en forme de chambre d’écho,- celui des « vies de papier »- ainsi qu’un hymne vibrant à la littérature !

    Depuis des décennies, Aaliya traduit en arabe des auteurs de la littérature mondiale, mais à partir de traductions… ces travaux jamais elle ne les a publiés, ils sont entassés dans des cartons dans la chambre de bonne ; temple de la mémoire par excellence. Or en cette fin d’année, précédant le rituel, voici une petite anomalie : n’ayant pas lu la notice, la septuagénaire a coloré ses cheveux en bleu… Est-ce la raison pour laquelle lors d’une visite sa mère s’est mise à hurler ? Aaliya qui semble partager avec Alain Robbe-Grillet le refus de la démarche « psychologisante » et des épiphanies qui encombrent le roman contemporain, ne se laissera-t-elle pas gagner par ces deux « défauts » ?? L’anomalie initiale n’annonce-t-elle pas celle qui clôt le roman ? Quand, suite à un « sinistre », elle enfreindra dans le calme des règles qu’elle croyait immuables… Histoire d’une métamorphose !

    Le récit est construit sur un va-et-vient constant entre le moment de l’écriture et un passé proche ou lointain. Les souvenirs apparaissent tels des flashs mais le plus souvent se déploient en séquences plus ou moins longues (surtout celles consacrées à Ahmad, Hannah et à la mère) ; d’abord annoncé brièvement un souvenir va s’amplifiant à l’instar d’une variation : ainsi de Hannah, la seule amie : elle apparaît très tôt dans la narration et le lecteur se familiarisera progressivement avec elle quand Aaliya la fait revivre à la librairie, épouse sa douleur ou commente son journal, etc.

    L’éclatement chronologique dans la « reconstitution » et les nombreuses digressions (dont la narratrice a conscience et pour lesquelles elle implore le pardon du lecteur ; clin d’oeil amusé et coquetterie littéraire plus qu’imploration d’ailleurs) semblent reproduire d’autres « éclatements » : un passé volé en éclats (mariée très jeune à un asticot, vite répudiée ; hargne des demi-frères) ; une ville bombardée détruite reconstruite que la narratrice compare à Elizabeth Taylor « démente magnifique vulgaire croulante vieillissante et toujours en plein drame ».Témoin des pires atrocités, des changements radicaux (celui d’Ahmad par exemple) elle a vu de son appartement, ces thanatophiles adolescents avec des semi-automatiques qui, tels des cafards, couraient en zigzags. Le clair de lune sur le canon des fusils de seconde main. Tandis que les nébuleuses des bombes éclairantes coloraient les cieux en indigo, je voyais les étoiles cligner avec incrédulité face à l’orgueil démesuré qui faisait rage en bas, sur la terre ferme ».

    Décrépitude liée au vieillissement ? Aaliya en est pleinement consciente : elle la mentionne avec humour et auto-dérision. Mais il est une force qui l’habite depuis très longtemps, une force inviolée : l’amour de la littérature (son « bac à sable »). Imprégnée par l’écriture des auteurs qu’elle traduit, elle en vient à transcrire ses sentiments ou impressions par une citation, (tout comme Montaigne en son temps) comme si les auteurs avaient déjà traduit dans leurs propres mots les expressions de sa vie. De Pessoa amplement cité -et ses hétéronymes : Alvaro de Campos, Ricardo Reis, : Ah ! C’est la nostalgie de cet autre que j’aurais pu être qui me désagrège et qui m’angoisse ! Nulle nostalgie n’est vécue avec autant d’intensité que la nostalgie de ce qui n’a pas eu lieu. Elle les sollicite les implore à l’égal des dieux  ô Coetzee ô Cavafy ô dieux adorés que fais-je ici ? (quand exceptionnellement elle se met à laver les pieds de sa mère…) Claquemurée dans un appartement envahi par les livres, (« des livres partout, des piles des rayonnages des caisses de livres des tas les uns sur les autres et moi dans le fauteuil vieillot qui n’a pas été rembourré depuis que je l’ai acheté au début des années 60 »), elle puise dans leurs récits et chez leurs personnages (ces héros de papier) ses sujets de méditations.

    Un panthéon littéraire vertigineux Coetzee, Sebald, Roberto Bolano, Javier Marias, Bruno Schulz, Pessoa, Muñoz Molina, Faulkner, Yourcenar, Kundera, Conrad Rilke la liste est impressionnante... Un panthéon miroir de l’érudition du romancier ?

    An  Unnecessary Woman c’était le titre originel moins racoleur et plus ironique encore que « les vies de papier »… Oui Aaliya avoue très vite à son lecteur -qu’elle prendra souvent à partie- je suis le membre superflu de ma famille, son inutile appendice. Et un souvenir lui reviendra quand le père-oncle avait interverti les deux enfants lors d’une promenade au moment précis où la circulation devenait dangereuse elle la moins que rien en tant que fille… Car le roman met aussi en évidence la place des femmes dans la société libanaise au cours des soixante dernières années. Mais Aaliya n’a cure des diktats « machistes ; de plus elle a toujours préféré « la solitude qui me désespère à la compagnie des autres qui me pèse » (Pessoa)

    Inutile oui (Je ne suis rien Je ne serai jamais rien. Je ne peux vouloir être rien affirmait un hétéronyme de Pessoa) mais ô combien indispensable !! car la fiction ne serait-elle une voie cardinale vers l’émancipation ? La littérature ou la « vraie vie » (Proust) ?

     

    Aaliya la très haute, Aaliya admirant d’en haut la boue, les marécages de la vie sait que le processus du souvenir est la malignité qui festoie sur son présent. Mais la vie (de papier) des personnages littéraires lui est plus familière que la sienne (qu’elle a d’ailleurs restituée en pointillés), Je suis Raskolnikov. Je suis K. Je suis Humbert et Lolita. Je suis vous. Dès lors si elle traduisait Yourcenar, ne serait-elle pas son propre Hadrien ?

     

     




  • "Casting sauvage" de Hubert Haddad (Editions Zulma)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    Une écriture poétique qui s'irise et se diffracte en ondes musicales, une volonté de réenchanter le monde désenchanté, en s’inspirant de légendes, de la dure réalité ou de son propre vécu, orchestrer toutes les formes d’expression artistique, nous impliquer aussi dans son engagement, telle est la démarche de Hubert Hadadd poète essayiste nouvelliste et romancier. Dans Casting sauvage il nous invite à écouter un chant de la Douleur, de la Vie et de la Mort. En superposant différentes époques, et par un jeu subtil d’analogies et de résonances, il nous entraîne dans les plis et replis de Paris -où l’on se consume de famine et de solitude- aux côtés de Damya qui en chorégraphie l’espace et le temps.

    Mouette à l’aile cassée Damya arpente les rues de Paris à la recherche de figurants pour l’adaptation à l’écran de La Douleur de Marguerite Duras. (allusion au film d’Emmanuel Finkiel ?) Ils « incarneront » les « déportés » au retour des camps en 1945. Casting sauvage que ce rabattage : il faut traquer la gent efflanquée des foules. Paris concentre précisément toutes les fragilités et une diversité de migrants dans ses entrelacs de vies chaotiques.(à chaque époque ses déportés). Paris concentre aussi toutes les époques plus ou moins mortifères... Et par des fondus enchaînés, se superpose au maillage topographique celui des histoires individuelles et de l’Histoire -dont l’attentat de novembre 2015. Damya en fut victime : elle ne pourra plus jamais danser - elle ne pourra pas interpréter le rôle de Galatée conçu pour elle par le chorégraphie Egor exilé de Bosnie. Un corps lacéré comme déchiqueté, une douleur qui peut abolir la parole et murer l’être devenu souffrance et suffocation. Or c’est précisément ce qu’éprouvait Marguerite Duras dans l’attente d’un improbable retour (La Douleur).  Pour Damya la recherche de figurants se double de la quête de cet Autre, sans nom, rencontré rue de l’Equerre puis par fol hasard une deuxième et troisième fois ; sa voix rieuse et la couleur cendrée de ses yeux elle aurait dû les retrouver… mais c’était avant la chute, avant le soir de l’attentat...

    Paris est assez vaste pour accueillir tous les déportés du monde. Au cours de ses déambulations Damya rencontre des personnes en déshérence, aux destins contrariés ;  voici surtout Amalia Nathaniel le jongleur filiforme le danseur polonais, l’étudiante Rachel, Alysson, et un ex-détenu. Fugacité des échanges certes mais le regard l’empathie leur confèrent une dimension quasi mythique. Le roman fait alterner ces rencontres dans des contextes précis (avec leurs ambiances leurs remugles et leurs cris étouffés), des tranches de vie (celle de Matheo Lothar, Egor ou Lyle), et les pauses traversées de souvenirs d’obsessions torturantes pour Damya, impasse des Sabres. A cela s’ajoutent des effets spéculaires : à la quête erratique de Damya le jour, (cette battue incessante à travers la ville ) répond en écho le cheminement nocturne d’Egor après les répétitions au Théâtre-Danse de la Nation. Quête morose et marche inquiète ! Aux « images » de la détresse humaine bien ancrée(s) dans le réel répondent des images fantomatiques que le flux et reflux de la mémoire charrie avec plus ou moins d’impétuosité et qu’illustrent, entre autres, le personnage de la noyée : Amantha -la femme aimée de Matheo-, Damya/Ophélie qu’Egor croit voir surgir dans son abandon à l’averse, ainsi que toutes les références au théâtre de Shakespeare ou à la poésie de Rimbaud. Parallèlement nous assistons à la reconstitution d’une partie intérieure de l’ancienne gare d’Orsay, aux studios Larm & Crew- et vers la fin du roman ce sera le tournage  gare de l’Est, de la Scène attendue, celle du retour des déportés ! On sait le réalisateur intransigeant avec sa manie de véracité qui tétanise le plateau. Lyle planificatrice ubiquitaire en est horripilée. Pour ce qui est de la « vraisemblance » à tout prix, elle semble être le porte-parole de l’auteur la figuration ne sera que défiguration car on ne figure pas la douleur avec des figurants. Et le casting sauvage pour lequel elle a a embauché Damya,est lui aussiun comble d’artifice : on abuse les innocents avec des leurres et quelques sous. Les voici au final ces « figurants »Ils n’arrivent ni d’Auschwitz ni de Mauthausen mais des rues désemparées de Paris allant avec une retenue de bon aloi dans les pas perdus des déportés ; leur figure de perdition est celle des rues des couloirs de métro des halls de gare des lisières et des confins urbains….

    Le roman procède aussi par variations : des événements d’abord mentionnés tels des flashs seront repris amplifiés jusqu’à devenir « scènes »  : ainsi des attentats de novembre 2015 ou de la rencontre avec l’Autre (jusqu’à la révélation terrifiante de l’officier de police) ainsi de la tragédie vécue par Matheo (La Bellone -nom de sa péniche- renvoie d’ailleurs à cette déesse des épouvantes, sœur ou amante du dieu de la guerre)

    Raccorder. Hubert Haddad décline ce verbe dans toutes ses acceptions. Le raccord au cinéma est la manière dont s’enchaînent deux plans -et la scène du retour des déportés qui aura exigé quatre prises au moment du tournage et tout le travail en amont du casting sauvage, sera peut-être coupée au montage... Damya veut « raccorder » lepourpre du soleil couchant -sang de lumière- et ce jour de novembre 2015 fracassant en elle toute espérance. Matheo demande à Damya de « poser » pour achever la sculpture d’Amantha / Desdémone, ultime raccord… L’écriture elle-même du romancier semble se « raccorder» à celle de la danseuse Rose détachée de son buisson d’épines et toute ébarbée des altérations disgracieuses que traînent les créatures, on ne lui demandait plus qu’à jaillir du néant.

    L’ex-danseuse Damya aura tissé cet entrelacs -aussi diapré que l’écriture de Hubert Haddad- en un ballet de la mémoire. Portée par le jongleur elle peut tendre des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile (exergue emprunté à Rimbaud).

    Et l’eau -dont les occurrences au sens propre et figuré traversent tout le roman -  s’irisera en un flux mémoriel

    Courons à l’onde en rejaillir vivant 

    Et de ce ruissellement, beau cristal en éclats, recréons la mémoire et la ville en dansant




  • "Le Sexe du ministre" d'Olivier Bordaçarre (Editions Phébus)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    Dans La France Tranquille Olivier Bordaçarre dénonçait le capitalisme sécuritaire ; dans Dernier désir Vladimir était la métaphore du capitalisme prédateur. Avec Le sexe du ministre le romancier prend à bras le corps une thématique que l’on croyait rebattue  -le sexe masculin comme métonymie du pouvoir : ce besoin de dominer, le sentiment de toute puissance que le pouvoir confère au mâle. Mais il lui insuffle une tonalité particulière. Non seulement il imbrique actualité et conte, factuel identifiable et surréalisme, humour et drame, mais il pousse à l’extrême limite une condamnation sans appel de la double domination masculine et financière- système qui se fourvoie depuis longtemps en s’érigeant en modèle universel-, en nous faisant assister "littéralement" à la mort du ministre Claude Phalène par décomposition / démembrement et à l’éclosion d’un être nouveau...

    L'homme politique maîtrise les techniques de séduction et se nourrit de ses conquêtes. Un très bon relationnel, de la répartie, une assurance peu commune sont ses atouts précieux, ceux précisément de Claude Phalène ministre de la Santé et des Droits des Femmes, dans le roman d’Olivier Bordaçarre. Le romancier va plus loin : il explore pour mieux le dénoncer, le lien entre formes matérielles et formes mentales qui sont au cœur des relations de domination, le lien entre matérialité des rapports de pouvoir et la pensée de ceux-ci. Lecteurs devenus  Spectateurs,  nous allons assister à une métamorphose (Que peut l’esprit contre les délires du corps ? Celui de Claude Phalène ainsi que sa pensée ont préféré l’exil plutôt que de prendre racine dans l’Histoire [...] Devenir femme est ce qui pouvait m’arriver de mieux. Cette fuite m’a permis de rétablir une vérité simple: tout devient).

    Pour la forme narrative, l'auteur renoue avec celle des contes du XVIII° siècle : titres-canevas, adresse au lecteur, sans se départir de son sens du récit. (analepses et prolepses,sens du rythme, dialogues, variété de tonalités, entremêlement sens littéral et sens métaphorique, entre autres.) Il choisit un prénom asexué Claude pour désigner le ministre présidentiable et la femme Claude Phalène. Il construit son récit en l’encadrant par un prologue et un épilogue en écho inversé: Claude Phalène femme y est le personnage principal d’abord hypothétique -emploi du conditionnel- avant d’être celle qui revendique l’amour de l’autre, en l’occurrence Jean-Pierre, comme valeur suprême. Vous n’êtes pas Claude Phalène. Vous ignorez tout de son histoire. Parce que Claude Phalène c’est moi : fin du prologue. Ainsi donc Claude Phalène c’est moi : titre de l’épilogue. Tous ces choix narratifs sont au service d’une conviction "l'avenir de l’humanité dépend de l’égalité entre les femmes et les hommes" -ce que suggérait l’exergue emprunté à Simone de Beauvoir

    De même, le choix des prénoms et patronymes n’est pas anodin ; il participe de cette "révolution" Phalène, Vanessa, Fleur Aimée, Linné. Le regard du romancier quand il croque certains traits -déjà saillants- ou qu’il procède à des grossissements ne s’apparente-t-il pas à celui d’un entomologiste ? Un abcès qui s'est percé, un papillon qui se pose sur la tranche d'un livre, les longues jambes de faucheux du docteur Fadelbois, un pénis qui se rétrécit telle une limace brune foudroyée, (et l'on pourrait multiplier les exemples) autant de "notations" qui dans le contexte dépassent la pure anecdote !!!

    Les douze chapitres consacrés à Claude, le ministre, se donnent à lire et à voir comme des tableautins ; une succession de séquences d'une formidable force suggestive. Et l’on passe d’un appartement luxueux du XVI°arrondissement à une villa sur la Côte, de l’habitacle d’une Mercedes S65-V12 où l’on entend la chanson de Balavoine, à celui d’un Falcon 7X. Claude Phalène et ses sbires, Claude Phalène et sa maîtresse, Claude Phalène et sa progressive détérioration physique (dans l’épilogue à l’instar d’une fiche signalétique, on pourra lire non seulement son cursus mais le déterminisme social et idéologique qui a présidé à son apprentissage de la vie...)

    Dans son film « l’exercice de l’état » (2011) Pierre Schoeller liait étroitement, dès le prologue, pouvoir et sexe. Une femme nue dans le bureau d’un ministre s’accroupit, écarte les cuisses et s’engouffre dans la gueule d’un crocodile ; raccord ; Olivier Gourmet le ministre des transports, se réveille en transe. Il bande... Claude Phalène lui ne bande plus…dès le début du roman d'Olivier Bordaçarre. Première "mutilation", première étape de sa décomposition; impuissant il assistera à la perte d’un orteil, le quintus...puis…et puis.... Et ce, jusqu’à la mort sous l’oeil effaré de son homme de confiance Denis Schiffermüller lequel au final verra en lieu et place de son maître, un être nouveau..... La révolution s’était accomplie !!!

     

    Tragi-comédie féministe et jouissive sur les arcanes du pouvoir, peut-on lire en quatrième de couverture

    Formule lapidaire méritée !




  • "Le camp des autres" de Thomas Vinau (Alma éditeur)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    En s’emparant d’un fait réel -la Caravane à Pépère, une bande d’exclus épris de liberté qui sillonna la France au début du XX° siècle et que les Brigades du Tigre de Clemenceau allaient écraser- Thomas Vinau le transforme en un vaste poème odyssée, dont Gaspard est le « héros » ; une fresque faite de révoltes et d’imprécations avec un mélange saisissant d’évocations réalistes naturalistes mais aussi poétiques et hallucinées. Adoptant le point de vue du jeune gamin, l’auteur imprime à son « poème » le souffle de l’enfance, dans une langue souvent rocailleuse, organique. Un texte habité et qui transporte. Un texte à valeur initiatique. Un texte qui entre en résonance avec le quotidien de tous les exclus, marginalisés et migrants… d’aujourd’hui...

    Le givre fait gueuler la lumière. Le lecteur est comme happé par cet incipit singulier où triomphe le pouvoir alchimique de la métaphore. Nous sommes en avril. Gaspard s’éveille accompagné de son chien blessé. « Fracturé » par le geste qu’il vient d’accomplir, il s’est enfui dans la forêt et doit affronter pour survivre, ses arcanes ses bruissements -voire mugissements- ses replis et anfractuosités. Vastitude et isolement d’un espace nouveau, hostile et hospitalier tout à la fois. Point de départ d’un « voyage » découverte. L’occasion pour l’auteur de nous rendre sensibles par la précision et l’élégance de ses descriptions (plutôt évocations souvent anthropomorphisantes) à ce « camp des autres ». Jean-le-blanc gardien tutélaire, alchimiste, connaisseur invétéré de tous les pièges sera le mentor de Gaspard et simultanément notre guide. Dès lors se justifie le « découpage » du récit en six parties, chacune précédée d’une épigraphe à valeur d’exergue ; elles sont les étapes qui jalonnent le chemin(ement) de l’enfant vers l’âge adulte ; elles sont impulsées par l’éveil -sens propre et figuré- annonciateur d’un monde nouveau ; après la fuite, la rencontre avec le « bienfaiteur » l’apprentissage, Gaspard est suffisamment mûr pour rejoindre la « caravane à pépère » et cheminer avec elle (notre chemin est notre maison). Le récit devient polyphonique quand l’auteur fait retentir les témoignages de certains « exclus » cabossés de la Vie, dans l’âpreté de leur langue rugueuse. L’individu comme extrait d’un grand tout. Le « prince » Gaspard peut participer à la Frairie, la grande foire de La Tremblade. C’est là que l’Histoire rejoint la fiction… arrestations, bastonnades, manipulation de l’opinion en spéculant sur sa peur, en invoquant la sécurité, à grands renforts de propos comminatoires…

    Au tout début Gaspard fuyant d’éventuelles représailles suite à son geste fatal.., s’était blotti dans un buisson d’acacias ; en écho vers la fin il fuit les brigades de police, lové dans une cabane du presbytère. Mais il reprendra la « route » pour accomplir sa promesse « je reviens ». (on pense mutatis mutandis au Walther de « nos cheveux blanchiront avec nos yeux »). Oui revenir vers son chien bâtard, vers son bienfaiteur, revenir vers cette forêt accueillante et protectrice.

    Disloqué, l’enfant s’est (re)construit – avec très souvent l’acuité du regard extérieur de qui se tient à distance. Il est désormais fort d’une expérience unique : avoir vécu, dans la rudesse du quotidien, les valeurs fondamentales de la solidarité, auprès d’un agrégat de traîne-savate, laissés-pour-compte, bandits, déserteurs, braconniers et autres marginaux…

    Histoire d’une liberté « sauvage » où les notes de violon montent jusqu’aux étoiles, l’apprentissage de Gaspard aura duré quelques mois, d’avril à juin 1907. Les chapitres très courts qui composent les 6 parties sont comme des instantanés des flashes ou encore des tableautins où le « travail » sur la lumière les voix et même certains raccords, les rapproche de séquences cinématographiées (cf le grouillement de la Foire) ou de peintures (cf les effets de clair-obscur). Et la langue -structure de la phrase, choix lexicaux- varie selon le contexte : sous l’égide de Jean-le-blanc c’est une « leçon de choses » dans une forme d’animisme qui magnifie la langue de la forêt ; aux côtés de Sarah la belle et intrépide prostituée, de Zo,’ de Fata’ de Capello, un souffle épique (jeu des anaphores, verbes d’action) accompagne la marche ponctuée de dialogues au réalisme cru.

    À chaque fois cependant on devine chez l’auteur le besoin de capter dans l’éphémère ce qui est éternel alors que Gaspard marche sur le monde

    L’acte originel « tuer le père » peut se prêter à une analyse freudienne. De même la construction circulaire du récit n’a pas seulement une fonction narrative….

    Écoutons l’auteur qui dans Lignes de suite -entre Épilogue et Remerciements- explique la genèse et la finalité de ce roman une histoire qui grimpait en nœuds de ronces dans mon ventre en reliant mes rêves les plus sauvages venus de l’enfance et le muscle de mon indignation. Alors j’ai voulu écrire la ruade, le refus, le recours aux forêts

    L’indigence unifiée qui se rebiffe n’a-t-elle pas trouvé refuge dans et par l’écriture, dans Ce camp des autres, ambassade hirsute pour les sans-famille, les sans-abri, les sans-papiers, les sans-patrie ?

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  • "Le roi, Donald Duck et les vacances du dessinateur" de Patrick Roegiers (Editions Grasset)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    Quel air j’ai ? Soupirait Hergé en se voyant dans la glace… Cauchemar qui se dissout dans son énoncé malicieux ? Cauchemar intégré dans le film dont le dessinateur belge est l’acteur ? Rêve du réalisateur/créateur ? Le cinéma n’est-il pas un rêve éveillé ? Autant de questionnements que pose et que « semble » résoudre ce « cinéroman ». Cinéroman où les personnages principaux, le roi Léopold III et Hergé, vont jouer leur propre rôle dans un film que l’on tourne en même que les pages du récit ; où se mêlent en un joyeux maelstrom (avec des fondus enchaînés et/ou des raccords cut) des figures incontournables d’Hollywood, des personnages de bandes dessinées et de cartoons; où facéties, humour, jeux sur le langage – cette marque si personnelle de l‘auteur- épousent le rythme d’une aventure et peuvent provoquer cette hilarité digne des « grands comiques » du cinéma...

    Nous sommes en Suisse, juillet 1948. Hergé -en vacances, pour cause de dépression- pêche au bord du lac Léman ; il rencontre Léopold III, roi des Belges, en exil. Ils sympathisent se promènent discutent. Quoi de plus « vraisemblable» ? Or simultanément ils sont dirigés par un réalisateur (le romancier ? Billy Wilder? Ou les deux.) -qui préfère les paysages reconstitués en studio, aux décors naturels [selon une logique inversée mais prise au sens littéral la Suisse n’est-elle pas un merveilleux décor de cinéma ????]. Ils deviennent ainsi les acteurs de leur propre vie… Clin d’oeil à Billy Wilder qui avait donné le rôle de la star déchue Norma Desmond, dans Sunset Boulevard, à Gloria Swanson, une authentique ex-vedette du muet  ? Billy Wilder cité avec l’élégance de la connivence, et auquel le romancier rend hommage

    Le spectateur/lecteur va les suivre depuis le premier jour de tournage jusqu’au départ d’Hergé, soit un mois (ce dont témoignent les indices temporels premier jour de tournage, on était à la moitié du tournage, jour de repos, il restait une semaine, deux jours avant que le mois de juillet ne se termine). Le découpage correspond aux parties du roman avec raccords plus ou moins explicites (musique fondu fin de la première partie) -le tournage étant scandé par les fameux « moteur ça tourne action » ; des scènes récurrentes comme des échos intérieurs (Donald Duck, Duffy Duck et son « coin-coin »  inquisiteur, ici ; l’auberge et sa servante Colette d’Yverdon) ; les encarts (menus proposés). Les flash back (Hergé et sa rencontre avec Germaine, Léopold et l’accident mortel d’Astrid en 1935 ; positions politiques  des deux protagonistes pendant la Seconde guerre mondiale...) ne poseront pas de problème de montage (l’évocation du passé s’inscrit dans la conversation filmée selon un ordre chronologique...)

    Si le film en train de se faire est par son rythme comparable à une (fausse) aventure de Tintin, (le réalisateur a opté pour un film allègre) c’est bien celui du roman en train de s’écrire qui le lui imprime. Récit vif et drôle qui s’assemble par séquences successives (dont certaines inoubliables… Einstein et le professeur Tournesol)  jusqu’au raout final et cette longue suite énumérative comme générique de fin. Dialogues (comme dans des phylactères) et pauses (les blancs typographiques), personnages secondaires croqués tels des personnages de BD, indications scéniques, reconstitutions, tout cela crée une dynamique où les frontières entre le réel, le vécu et la fiction, le vécu réinventé et le faux semblant sont ténues voire poreuses (d’ailleurs tout était vrai parce que tout était imaginé)

    Hommage au dessinateur Hergé (Tintin et les emblématiques professeur Tournesol et la Castafiore extirpés de leurs vignettes rencontrent sur le plateau une jet-set devenue mythique). Hommage au cinéma ; au comique des années 1920 1930, et dans la forme et dans le fond. Les exergues sont empruntés à des acteurs ; le duo Laurel/Hardy, ou les « fameux » Marx Brothers, sont rendus à la « littérature vivante » - comme le furent Proust et Joyce dans l’uchronie « la nuit du monde »-  tout comme le sont Hergé et Léopold III dans ce roman/film à ceci près -car nous sommes momentanément en Suisse-, qu’ils sont comme l’emmental et le gruyère….Hommage à l’écriture ! Patrick Roegiers maîtrise (c’est devenu un truisme) toutes les ressources du langage (aphorismes, stéréotypes détournés, onomatopées, jeux de mots, chutes inattendues, néologismes, etc.) et pour chacun (personnage principal ou secondaire) sous forme de pitch (parodie de wikipedia) il livre des précisions biographiques vestimentaires ou psychologiques. Non pas jeu de massacre (on lui ferait un mauvais procès…) mais le plaisir jubilatoire d’un « érudit fantasque empli d’humour » et ce désir de le communiquer, tout en sachant que « l’imagination du lecteur dépasse le roman »

    Hergé traversait « une crise de création » (à l’instar de nombre d’auteurs et d’artistes) il « en avait assez des tintinades et tintineries » son esprit était « vacant ». Mais après ses « vacances » en Suisse, (pays accueillant, joyau de l’Europe, où la lumière est pure/ le silence imposant/ comme les montagnes) après le tournage du film, qui coïncide avec la fin du récit, il retrouvera l’inspiration… (voir l’épilogue)

    Gageons que pour le lecteur, ce voyage inédit en Suisse, sera  une « traversée des plaisirs »




  • "Notre vie dans les forêts" de Marie Darrieussecq (Editions P.O.L)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    Une phrase qui, d’abord hésitante, hoquette -à l’instar du corps déglingué de Viviane la narratrice. Une disposition typographique qui fait la part belle aux « blancs » comme autant de pauses dans l’écriture. Des occurrences « j’ai froid » « où en étais-je » ? qui témoignent à la fois d’un état physique délabré et d’une urgence. C’est que la narratrice qui a fui -avec d’autres-  l’enfermement d’un monde où tout est connecté contrôlé robotisé, vit désormais en nomade dans la forêt ; et ce chant du cygne apparemment fragmenté, elle le dédie aux futurs lecteurs qui par hasard le découvriront dans un bidon. C’est ce long monologue que nous entendons, un monologue funèbre, nostalgique -du futur-  mais aussi empreint d’humour

    Certes par certains aspects il rappelle une dystopie (monde futur aliéné par drones clones, monde totalitaire, monde post traumatique) et l’on pense immédiatement à Huxley Orwell ou Bradbury … Mais il s’en éloigne par la place que Marie Darrieussecq assigne à l’écriture et par l’humour.

    Je veux comprendre. Je veux témoigner écrit plusieurs fois la narratrice. L’écriture comme herméneutique, l’écriture contre l’oubli, l’écriture comme force vive de la résistance (le nomadisme plutôt que l’enfouissement, c’est possible). L’humour est celui de l’auto-dérision, il est patent aussi dans le traitement d’épisodes apparemment « cocasses » (Romero et son dentier), dans le recours aux parenthèses explicatives ; il devient noir quand il est associé au tragique (syndrome du seul survivant)

    L’éclatement de la chronologie dans la restitution des « faits » (situation actuelle au moment de l’écriture, évocation du passé proche ou plus lointain, éducation apprentissage de la verticalité aux moitiés , rappel de sa profession de psychologue, le patient 0, le cliqueur, les visites à sa moitié Marie au Centre de repos depuis l’âge de quatorze ans, la fuite, les opérations, etc.) est à l’image de son corps « en morceaux » -il lui manque un œil, elle a subi une greffe du poumon, du rein, son corps est balafré de cicatrices « Dans ma pauvre tête ça ressemble à un paysage feuillu avec des tas de vallées et de chemins possibles » tout me renvoie à tout : le passé au présent et au futur, ce qui est arrivé à ce qui va venir ». Mais la confusion -apparente- trahit, bien évidemment, un travail sur l’écriture. Qu’il s’agisse d’échos intérieurs (ainsi l’allusion initiale aux éléphants qui sera reprise amplifiée à la fin) ; de  la thématique récurrente voire omniprésente du « regard »,-avec tout un jeu de déclinaisons- ; qu’il s’agisse des pauses, des marques de l’oralité (mes fesses  pour exprimer le doute, les interjections bah, bon bref, ha), ou de l’alternance entre phrases brèves (voire nominales ou réduites à un mot typographiquement isolé) et de phrases plus amples (dans le descriptif de la vie dans la forêt), tout cela, en scandant le récit, crée un tempo au rythme souvent tendu ou syncopé

     

    Psychologue, Viviane « soignait » -avant la fuite- les traumatisés -dont l’unique survivante du vol Paris-Johannesburg et le cliqueur. ; ce patient 0 était programmateur de robots, il leur enseignait toutes nos associations mentales pour qu'ils puissent un jour les faire à notre place. « Correspondance » qui renvoie à la synesthésie (les parfums les couleurs les sons se répondent) mais surtout à l’association d’idées (rouge= sang= couleur= cœur= amour= joues= vin =confusion= politique = colère). Il leur manquera malgré tout l’accès à la poésie (métaphore) et la détection de certaines astuces (la double négation par exemple).

    À cette époque (une sale époque) celle des attentats des drones des enlèvements des clones -où l’on avait peur de tout, où l’on pratiquait la délation, une partie de la population est dotée d'un clone de secours, de substitution. Pour Viviane ce fut Marie. Une « non-personne » simple « réservoir d’organes »une assurance-vie. Cette Marie (la chochotte) comme toutes les « moitiés » si elle est flexible ne comprend rien ; endormie pendant des années avec un embout nasal diffusant du gaz, elle a dû après l’évasion savamment organisée, apprendre à se tenir debout, à marcher...On pourrait commenter ad libitum le phénomène du « double » Mais si l’auteur lui consacre tant de pages c’est qu’il est perçu comme une page blanche à écrire ; toute cette disponibilité, ce matériau brut en quelque sorte. Sans extrapoler ne peut-on pas interpréter la relation entre Viviane et « la belle endormie » comme une métaphore de l’écriture ? Comment investir un personnage obsédant, lui donner corps par le Verbe

    Alors que les gestes « sont en réseau, enregistrés, catégorisés ; lus par des robots, archivés, comparés, répertoriés » la narratrice en arrachant deux de ses implants a réussi avec d’autres à fuir. Précédée par un chien elle a marché étourdie par la forêt  l’invitation du vent des arbres des oiseaux et su soleil. Une vie « sauvage » de fugitifs……

    « je n’ai pas fusillé le malheureux au fond des caves » Sergueï Essenine




  • "L’archipel d’une autre vie" d’Andreï Makine (Editions Seuil 2016 ; Points 2017)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    Émouvant et cruel à la fois ce roman d’Andreï Makine (intronisé sous la Coupole en décembre 2016) mêle récit d’aventures -une traque dans la taïga sibérienne- et quête existentielle, sens du romanesque et réflexions philosophiques. En résonance avec les déflagrations du monde et de la Russie en particulier (celle de l’après-guerre sous le régime de Staline et celle de l’après Staline) il enchâsse plusieurs « récits »entraînant son lecteur à l’extrême orient de la Russie jusqu’à la mer des Chantars, jusqu’à cet archipel où une « autre vie» est possible…

     

    Le roman s’ouvre sur une précision d’ordre sémantique -un distinguo entre « vivre » et exister ». Cet incipit servira en fait de fil directeur. Vivre ce fut le destin de ceux qui ont réussi à atteindre la mer des Chantars….Exister renvoie aux « autres manières d’apparaître ici-bas » -dont la poupée de chiffon est le symbole ; cette réplique de l’ange gardien qui « conseille prudence compromis résignation » Comment passer de l’un (exister) à l’autre (vivre) ce sera précisément le cheminement -initiatique- de Pavel Gartsev. La  chasse à l’homme -rattraper un évadé énigmatique- aura permis une refonte totale de sa personnalité….Et aux différentes étapes de la traque avec ses rebondissements, répondent en écho celles d’une « chasse intérieure » que mène Pavel contre ses démons, sa lâcheté – celle que pourrait d’ailleurs mener tout être humain! C’était le vœu de Vassine mais ce qu’il considérait comme un « conte », son ami l’a réalisé !  Après s’être évadé du cantonnement, loin désormais du monde où les hommes se haïssent, il découvre « la décantation suprême du silence et de la lumière » « le sens de ma fuite se rapprochait de cette autre vie … » Suprême épiphanie !

     

    Pour rendre compte de cette métamorphose, le romancier enchâsse plusieurs récits en donnant la parole successivement à un jeune narrateur (son double) chapitre I, puis à Pavel (chapitres II à V) et enfin à Sacha. Les époques 1963, 1952 et 2003 informent le lecteur sur les contextes politiques  (fin de la guerre de Corée, simulation d’une Troisième Guerre Mondiale, la douloureuse période des camps, de la délation, le post stalinisme, l’époque libérale). C’est le narrateur qui écoute le long récit de Pavel et celui de Sacha, c’est l’auteur qui les commente et simultanément il évoque l’évolution de son propre point de vue :d’abord sceptique, il sera séduit par le « défi désespéré que les ermites des Chantars avaient lancé au destin » puis il sera convaincu qu’en fait « c’est l’humanité qui s’égare dans une évasion suicidaire » ..Il fustige ainsi tous les prédateurs qui « colonisent » la planète. Et son jugement est sans appel « après la guerre de Corée on avait fabriqué assez de bombes pour carboniser la planète une centaine de fois et en attendant on calcinait les villages et leurs habitants au napalm on transformait les forêts en déserts et les océans en dépotoirs »

     

    L’épisode de la chasse à l’homme en 1952 (chapitres 3 à 5) mérite une attention particulière. Cinq hommes armés, cinq archétypes d’une Russie stalinienne. Ratinsky, jeune arriviste, Louskass inféodé au régime, l’homme à la gâchette facile, Boutov un commandant apparemment balourd mais hostile à la torture, et Mark Vassine farouchement hostile au régime mais conscient qu’une parole libre est sévèrement punie ; chacun « joue sa partition » ; seul Pavel sera le bouc émissaire en cas d’échec de la mission. 

    Marcher dans la taïga  ? En fait il faut s’y mouvoir avec « la souplesse d’un nageur » et c’est l’avantage de l’évadé. Dans cet univers devenu mythique dans l’imaginaire collectif, dans ce paysage labyrinthique avec ses lacs, ses lacis, sa flore et sa faune spécifiques, le jeu de traque et chausse-trape ponctué par les repères temporels (le lendemain, la nuit, le soir, au matin, la nuit, au 4ème jour etc.) apparemment « ludique » n’en est pas moins cruel : il y va de la vie de chacun…Et pourtant il est plus aisé de survivre dans la taïga, que dans un camp avouera Elkan….

    Du fugitif, Pavel apprend des stratagèmes qu’il fera siens, et dont le narrateur -chapitre I-  sera la « victime » : Tout un jeu d’échos intérieurs traverse ainsi ce roman qui tient du western et de la quête métaphysique

     

    Elkan attendait le retour de Gartsev, Elle attendait l’apparition de la voile carrée ; Gartsev allumait trois feux ...et quand la barque accostait ils comprenaient tous les deux que cet instant éclairé de jaspe carminé était le sens même de leur vie. De cette autre vie.




  • "Héritières" de Marie Redonnet (Editions le Tripode)

    Colette LALLEMENT-DUCHOZE


    Dans les trois romans parus en 1986 et 1987 aux Editions de Minuit, Marie Redonnet mettait son écriture blanche - phrases courtes, informatives, dénuées d’émotion, syntaxe élémentaire, parataxe- au service d’une mélodie spécifique : chant de la détérioration (Splendid Hôtel) parabole amère des enfances perdues (Forever Valley) récitatif venu du fond des âges(Rose Mélie Rose). Rassemblés trente ans plus tard en un seul volume « Héritières » (paru aux éditions Le Tripode), ces romans invitent à une autre expérience littéraire , résumée en quatrième de couverture « immersion dans des mondes qui résonnent, offrant un miroir sur la réalité incertaine de nos propres existences » Trois femmes déviantes, trois héritières soumises au poids du passé, trois héroïnes surgies de mondes au bord de l’implosion et luttant pour exister »

    Trois voix. Trois narratrices  : l’une sans âge mais qui sera marquée par les ans, l’autre une adolescente de 16 ans analphabète qui n’est pas et ne sera pas « formée » ; la dernière Mélie a douze ans quand l'histoire commence, seize ans quand elle se termine. Elles vont dire leur quotidien souvent douloureux -et l’omniprésence d’un « je » anonyme ou non est presque lancinante, quand cette instance narrative n’est pas relayée par les propos des autres protagonistes restitués au style indirect (Ada trouve que...le père dit que… le photographe dit que...Nem m’a dit que…). Harcelée par ses sœurs et par les clients, la narratrice de Splendid Hôtel doute d’elle-même dans sa tâche herculéenne de préserver l’héritage de sa grand-mère. À 16 ans la narratrice de « Forever Valley » est manipulée, exploitée à la fois par son père invalide et par Massi la patronne du dancing ; mais elle veut mener à bien SON projet «rechercher les morts » en creusant des fosses, dans le jardin du presbytère. Mélie dès la mort de Rose entreprend un voyage de SURVIE -parcours initiatique- avec un livre de légendes  comme viatique

    Trois voix ; trois destins ; dans une chronologie presque inversée, qui irait de l’âge adulte vers l’enfance et l’adolescence. Ou dans une perspective plus philosophique : la naissance de l'humanité mène inéluctablement à la décadence. (les occurrences de la locution négative « ne...plus » en témoigneraient aisément). Quoi qu’il en soit les mondes dans lesquels évoluent ces trois « héroïnes » sont inhospitaliers (un hôtel délabré près d’un marais et d’un cimetière ; un hameau abandonné ; une île dont la vitalité périclite face à la concurrence du continent). Mondes hors du temps ? Oui dans Rose Mélie Rose c’est celui des contes et des légendes --dont le livre légué par Rose est l'emblème- Mais il n’en est pas moins cruel et la jeune adolescente va évoluer d’abord entre mairie et bordel, entre taches rouges et fleurs qui se fanent, avant de se parer du voile de la mariée, reproduisant à la fin le schéma initial -dans cette grotte où elle fut abandonnée et où elle enfante, - comme si l’histoire se répétait au-delà du récit, tel un flux immémoriel...

    Ce qui frappe à la lecture c’est à la fois une certaine placidité  et le ressassement des mêmes constats. C’est surtout une volonté farouche proche de l’obstination qui résiste aux pires calamités, qu’elles viennent du monde extérieur (le marais fétide qui contamine engloutit, la vase ou le roc comme obstacles majeurs au creusement de fosses puis l’engloutissement de la vallée) ou des humains (viol agressions). Trouées lumineuses telles les enseignes -du splendid, du dancing ou du magasin de souvenirs- elles traversent les nuits de leur force d’attraction alors que tout l’alentour est voué à l’effacement (à l’instar des couleurs du grand tableau  de Mélie…) Confrontées à la mort de proches (les sœurs, le père et le jeune douanier Bob), elles les accompagnent dans leurs dernières demeures, telles des déesses tutélaires d’un temps immémorial.

    Manipulées certes mais conscientes ; une conscience déconcertante. Ainsi les scènes de défloraison -violentes dans leur essence même- sont traitées sans affect ; Mélie est heureuse fière de n’être plus vierge le jour même de ses premières règles… elle se sent même redevable au chauffeur du camion jaune . C’est quel’auteur adoptant le point de vue du personnage crédule, l’inscrit  dans un certain état d’une société pré-morale où prévalent l’instinct de survie et la pulsion. Manière habile de représenter la persistance des rapports de force dans une société contemporaine qui défend l’émancipation de la femme dans le même temps qu’elle reproduit les conditions de son aliénation (Christine Plantec Matricule des Anges n° 185 p 25)

    La thématique de l’engloutissement, de l’effacement, illustrée dans ses sens propre et figuré est certes récurrente d’un roman à l’autre. Mais les narratrices de Splendid Hôtel et de Forever Valley ont in fine le courage de regarder en face leur destin. L’hôtel s’est « échoué » mais il garde sa vue unique sur le marais et ses enseignes brillent dans la nuit. L’adolescente a été contrainte de quitter Forever Valley et de s’installer dans la vallée d’en bas qu’elle n’aime pas, mais lucide elle sait qu’au fond de l’eau se « cache l’ancien hameau » submergé comme sa propre enfance…

    Eros et Thanatos, Naissance et Mort, Héritage suprême pour Mélie qui le lègue à sa fille Rose afin qu'elle le perpétue. Marie Redonnet en citant en exergue au Splendid Hôtel un extrait d'Illuminations -Déluge, ne revendique-t-elle pas l'héritage littéraire de Rimbaud ?









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